À propos de la vélocité des sources non journalistiques

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Lors de mon allocution sur l’avenir des médias de plus de 45 minutes et de la période de questions impromptue d’une demi-heure qui s’en suivit, j’ai commis une bourde. Un impair. Je me suis mal exprimée et j’ai blessé la fierté toute légitime du journaliste qui est heureux d’avoir fait un scoop. Comme je l’ai dit dans ma conférence, le fait journalistique est devenu une commodité (dans le sens que ça n’a plus de valeur) mais ce sont les analyses, les opinions, le journalisme d’enquête qui en ont. Ainsi, lors d’une question du journaliste Jean-François Coderre du Journal de Montréal (alias rueFrontenac le temps du lock-out) je fis une réponse qui n’eut pas l’heur de satisfaire Tristan Péloquin de Cyberpresse avec qui je dialogue dans mon blogue et sur le sien dans Cyberpresse. Voici le fil de nos échanges chez moi.
Tristan Péloquin

Juste quelques mots sur la discussion au sujet de Dawson. Dans le clip, Michelle, tu dis que, pendant la fusillade de Dawson, “l’information la plus pertinente et la plus à jour (pendant la tuerie) était sur Wikipedia”, alors que “Radio-Canada et Canoe étaient down”.

En tant que journaliste à La Presse qui a couvert l’événement, je crois être bien placé pour dire que tu as tort.

Au lendemain de la fusillade, je publiais dans La Presse cet article intitulé “Dawson: la fusillade en direct sur Wikipedia” (http://tinyurl.com/exqys). J’y parle du fait qu’un étudiant de Concordia qui s’est retrouvé près de l’action a créé une page Wikipédia à peine quelques minutes après le début de l’événement. Je me souviens très bien avoir lu et relu l’article de Wikipedia sur Dawson alors que les événements se déroulaient. On y trouvait de l’information juste et pertinente. Dans l’article, j’ai décrits les faits qu’on y rapportait comme étant “d’une bonne rigueur factuelle”. Je me souviens qu’il y avait des erreurs.

Une chose est cependant certaine, on n’y trouvait AUCUNE INFORMATION INÉDITE que les médias traditionnels n’avaient pas encore rapportée. Wikipédia répétait, avec un certain retard mais avec un regard original de citoyen, ce que nous, des médias traditionnels, découvrions.

Quant aux photos qui avaient été mises en ligne sur Wikipedia, elles ne disaient pas grand-chose, sinon que des jeunes se trouvaient dans la rue face au Collège Dawson.

Autre détail important: c’est bel et bien La Presse et le Journal de Montréal qui ont révélé le nom du tueur. Pas Wikipédia. Dans la salle de rédaction de La Presse, on m’a transmis l’information vers 20 h. J’ai trouvé le blogue de Kimver Gill, avec l’aide de collègues, vers 21h.

Dans Wikipédia, l’entrée sur Kimver Gill date du lendemain, à 10h59. Elle est largement basée sur les six pages de contenu diffusées ce matin là dans La Presse et le JdeM !!!

Je suis le premier à tripper sur Twitter, Wikipedia et Facebook comme outils journalistiques. Mais de là à dire qu’ils sont plus efficaces que les médias traditionnels, il y a un pas que je ne suis pas prêt à faire.

Tristan Péloquin

L’article de La Presse, intitulé Dawson: la fusillade en direct sur Wikipedia, se trouve ici: http://tinyurl.com/detwx2

Michelle Blanc

Tristan
Dans le cas de l’avion sur la rivière Hudson, il est clair que la vélocité était du bord de Twitter. Dans le cas de Dawson, j’aurais dû spécifier que l’info était indisponible sur les sites des grands médias, mais qu’elle l’était sur Wikipedia, tel qu’en discute Éric Baillargeon ici et ici. Concernant les photos, elles ont été en ligne des 15:00hr le jour du drame, sur Flickr plutôt que Wikipedia et on commence à parler du site Web de l’assassin le lendemain à 07:30hr le matin du 14 sept. L’idée est que le scoop excite le journaliste, quelquefois le blogueur mais rarement le citoyen ordinaire au milieu d’un fait journalistique et que comme tu l’as déjà mentionné, les outils tels que Twitter, Flickr, les blogues, Wikipedia ou autres peuvent grandement aider le journaliste. Il est clair que la police donnera plus d’infos aux journalistes qu’au simple citoyen et c’est bin correct de même. Par contre, il arrive de plus en plus que le citoyen soit au milieu d’une histoire, qu’il la partage, avant même que le journaliste n’ait le temps de s’y rendre. C’était ça mon point dans le fond et cette idée, permet de faciliter le travail des journalistes à mon avis…

Tristan Péloquin

Michelle, désolé, je ne comprends pas, mais absolument pas ce que tu veux dire par: “Dans le cas de l’avion sur la rivière Hudson, il est clair que la vélocité était du bord de Twitter.”

Explique-moi ce concept de ésotérique de “vélocité”, que je ne comprends pas.

24 heures après l’amerrissage de l’avion dans la Hudson, 240 000 personnes avaient vu la photo du gars qui a soi-disant annoncé l’histoire sur Twitter. 240 000 personnes, contre combien de centaines de millions de personnes ont vu les images à la télé et sur les grands sites des médias ou même sur YouTube (grâce aux images provenant de grands médias). Combien de personnes ont appris l’histoire sur Twitter grâce à un lien menant vers le NYTimes ou n’importe quel autre site de journal ???

Twitter pas Twitter, les médias auraient amplement parlé de l’histoire. Si ça se trouve, les médias étaient au courant de l’histoire avant même que l’avion touche l’eau. Le fait qu’un gars ait publié la photo sur Twitter est intéressant, parce que ça permet à n’importe qui de se rapprocher un peu de l’histoire. Mais soyons honnêtes, les gens qui ont appris l’existence de l’incident par le post de Janis Krums sont RARISSIMES.

Vélocité = 0. C’est une histoire cute à raconter dans le journal du lendemain; un point de vu inédit sur l’accident. That’s it, qui, au surplus, concerne la saveur du mois qu’est actuellement Twitter pour les médias.

Tu dis aussi: “Dans le cas de Dawson, j’aurais dû spécifier que l’info était indisponible sur les sites des grands médias, mais qu’elle l’était sur Wikipedia, tel qu’en discute Éric Baillargeon ici et ici”. Sorry, mais c’est du pipeau. Tous les sites – Rad-Can, Canoe, Cyberpresse – avaient l’histoire en ligne, ne serait-ce qu’une dépêche mentionnant qu’un tireur était à Dawson, 10 minutes après qu’elle ait éclatée. J’en sais quelque chose: c’est moi qui updatait l’histoire en direct pour Cyberpresse. Cyberpresse a planté vers 18h seulement !!!! Et que les autres sites aient planté une minute ou deux ne veut pas dire qu’ils étaient hors jeu.

J’ajoute humblement que Dawson s’est produit en 2006. Sur le Web, aussi bien dire que ça fait 100 ans. Les photos des photographes des médias, autrement plus pertinentes que celles affichées sur Flickr (si on compare tout ce qui s’est trouvé sur Wikipedia à ceci (http://tinyurl.com/dx5wkk), par exemple), ont dû se retrouver en ligne une heure après le début de l’événement. Lors du passage de Barack Obama à Ottawa, elles étaient sur Cyberpresse 30 secondes après avoir été prises.

Tu ajoutes: “Il arrive de plus en plus que le citoyen soit au milieu d’une histoire, qu’il la partage, avant même que le journaliste n’ait le temps de s’y rendre.” Ça a toujours existé. Dans notre langage, on appelle ça des sources ou des témoins. Qu’ils mettent l’info en ligne, qu’ils nous refilent une photo, ou qu’ils nous la disent de vive-voix, c’est pour nous la même chose. C’est une source d’information.

Michelle Blanc

Lorsque je parle de vélocité (dans le sens de rapidité) de Twitter (pour la rivière Hudson) je me réfère Techcrunch, à News.com.au, à editorsweblog.org et Nielson–online.com. Pour la vélocité de Twitter durant d’autres événements il y a aussi MediaWarch de l’AFP, Mediashift de PBS, Techcrunch, à mon propre billet Twitter le nouveau fil de presse?
Bin finalement, on dit la même chose. Le Web devient une source, l’information factuelle n’as plus de valeur et c’est la valeur ajoutée, la réflexion, l’analyse et l’opinion qui en ont. Pis le reste de la conférence (avant la période de questions pour laquelle il est toujours difficile de se préparer) c’est justement de ça que je parlais…

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Commentaires

  1. AJ

    Excellent point de vue de Tristan Péloquin. Twitter (et on peut généraliser ça pour tous les réseaux sociaux) ne fait que reprendre ce qui se dit dans la presse en plus d’avoir l’effet pervers d’amplifier les fausses rumeurs. la preuve? Lors du récent “scoop” autour du Canadiens de Montréal et les liens présumés entre certains joueurs et un membre du crime organisé, twitter n’a pas été en mesure de sortir la nouvelle alors qu’elle avait déjà été exposée à pas mal de monde. Non seulement la nouvelle n’est pas sortie, mais en plus les rumeurs les plus folles et les plus absurdes ont innondé twitter.

  2. Nikonoel

    “on n’y trouvait AUCUNE INFORMATION INÉDITE que les médias traditionnels n’avaient pas encore rapporte. Wikipédia répétait, avec un certain retard mais avec un regard original de citoyen, ce que nous, des médias traditionnels, découvrions.”
    Ces deux phrases révèlent une très mauvaise compréhension de ce qu’est wikipedia de la part de celui qui l’a écrite. La ligne éditoriale de wikipedia, c’est justement de s’appuyer sur des sources. Wikipedia n’a aucune vocation à sortir des scoops ou des informations inédites. Elle a vocation à expliquer des faits qui sont avérés. C’est toute la différence entre une encyclopédie et un journal. Si un article de wikipedia ne s’appuie pas sur des sources fiables (c’est toute la clef de l’idéal wikipedien, les sources fiables), il est très rapidement éliminé par la communauté. J’espère que Tristan Péloquin lira ce commentaire.

  3. AxonPost

    Corey Clayton, l’ancien journaliste en ligne du Lancaster News Era, pense que Twitter est la solution parfaite pour un éditeur qui tente de conserver un lien constant avec ses journalistes sur le terrain. On peut facilement imaginer que Twitter est une solution tout à fait appropriée pour des breaking news, depuis ce qui se trame sur le parquet de la Bourse, en passant les faits divers, jusqu’aux verdicts dans une cour de justice. À lire: La monté en puissance de Tweeter http://www.axonpost.com/?p=286

  4. Alexandre

    Peu importe le point de vue, le monde change, l’accès à l’information change et nous devons décider d’embarquer dans le bateau ou regarder quitter le bateau du quai.

  5. Marc Desjardins

    Je souris toujours quand je constate à quel point une nouvelle plateforme ou une nouvelle déclinaison technologique peut soulever des passions et des controverses. Ça me rassure, en ces temps d’apathie et de cynisme, qu’il y a encore des champs d’évolution, quelle que soit la tendance de chaque propagandiste.

    Je constate que le débat journalisme/technologie est polarisé soit par des praticiens qui appartiennent à l’un ou à l’autre des champs de pratique.

    J’aime Twitter comme j’aime le Web parce que c’est le plus grand outil de démocratisation de l’information et de la communication. Le pouvoir est maintenant beaucoup moins concentré entre les mains d’un petit groupe mais peut appartenir à n’importe qui voulant s’appliquer à se servir des outils.

    Par contre, Twitter, comme Facebook ne pourront jamais remplacer les medias de masse, tout simplement parce qu’ils sont limités et dans leur contenu et dans leurs cibles de diffusion. Oh, ils sont très rapides mais leur vélocité n’est pas garante de leur masse critique d’auditoire. Il faut être abonné et/ou suivre les sources pour les recevoir en privilégié. L’auditoire devient donc réduit tout comme le contenu diffusable. On a beau prétexter qu’on peut utiliser les engins de recherche de Twitter pour voir s’afficher les mises à jour des échanges, encore faut-il savoir utiliser les bons mots clés et surtout, on peut faire la même chose avec les engins de recherche généraliste. On n’a qu’à s’abonner à leur flux et on verra s’afficher tous les contenus récents, sur toutes les plateformes en temps réel. Sur les réseaux sociaux, une certaine masse critique de gens peut suivre de temps en temps mais on ne peut pas avoir ainsi toutes les sources sur tous les événements. Ce n’est pas un outil d’information global. En fait, on navigue dans la culture du scoop, une culture un peu malsaine qui n’est pas l’apanage de l’auditoire en général.

    Je me suis amusé à suivre les divers courants d’informations qui explosaient autour de la mort de Natasha Richardson. C’était assez pathétique, les informations étaient contradictoires, souvent n’importe quoi et, finalement, provenaient de deux sources uniques, le New York Post (qui a été d’une inélégance extrême) et Time Out. À ceux-ci, TMZ est venu s’amuser à contredire les deux premiers. Même la très sérieuse Presse a cité les deux premiers journaux pour annoncer avant tout le monde la mort cérébrale de l’actrice. Les informations ne cessaient de rebondir d’un média à l’autre et tout ce que Twitter véhiculait, c’était des sources de seconde zone qui provenaient du même axe. En plus, l’info provenait de la même grande gueule, proche de la famille, qui avait téléphoné à la potineuse Liz Smith (qui venait d’ailleurs de perdre sa tribune, justement au Post et tentait de se redonner du lustre et une tribune).

    Oui, les journaux se meurent doucement, tout simplement parce que le support papier est de moins en moins pertinent autant écologiquement que pour la volonté immédiate d’avoir l’information. Par contre, le journalisme sera de plus en plus important à une époque où on navigue dans une mer de données qu’on rend de moins en moins compréhensible en ne se préoccupant que de son indexation et de sa collection, mais pas de son analyse. Les médias devront être électroniques, immédiats et présents mais la qualité de leur information finira par leur donner leur pertinence. Ce sera difficile et compliqué, surtout en même temps qu’une crise économique fait basculer les sources de financement, mais ça se fera, j’en suis convaincu.

    L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt… mais aussi à ceux qui restent éveillés…

  6. On the Web with Kim Vallee

    J’ai assisté à l’allocution de Michelle au 3rd Tuesday. Le cas de l’avion sur la rivière Hudson indique seulement que les simples citoyens, lorsqu’ils se trouvent à un endroit où se passe l’événement, peuvent diffuser en temps réel l’information grâce aux médias sociaux. Personne n’a dit que Twitter ou Facebook allait remplacer les journaux.

    Mais un fait demeure. Lorsqu’il y a un tremblement de terre en Californie, c’est sûr que je vais l’apprendre par Twitter avant que CNN ait le temps de publier son reportage. Cela ne remplacera pas l’information journaliste subséquente mais cela m’a averti du fait. À ce titre, Twitter joue un rôle qui n’existait pas historiquement. Pour moi, cela représente une opportunité pour les médias traditionnels. C’est à eux de la saisir ou pas.

    À titre de bloggeur sur les médias sociaux, les conversations sur Twitter sont parfois l’étincelle menant à mes billets. On s’aperçoit de ce qui intéresse les gens en ce moment. Les questions que les gens posent sont aussi des pistes. Il me semble qu’un journaliste ou chroniqueur aurait tout avantage à utiliser Twitter pour découvrir des angles différents à traiter à travers les reportages qu’ils produisent.

  7. Christian Aubry

    Préalable technique : quelle est la pertinence de reproduire, dans ce long billet, un fil de commentaires qui est déjà publié dans ce blogue et que l’on peut aisément pointer comme ceci ? Je m’en vais donc placer mon commentaire dans ce fil-là, en me disant des chances pour que Tristan Peloquin s’y soit abonné. Un peu de convergence, que diable, et pas trop de dilution 😉

  8. Dan

    Il a de bons point le M. Coderre…de très bons points même.
    Ma business est le Web, mais son discours est très correct. Il y a débat et il est légitime. Bien que je t’adore ma chère Michelle, tes arguments vont “de ton bord”. Et je ferais la même chose à ta place…sinon pire.
    Beau débat. Que j’apprécie qu’on nous montre ces deux côtés de la médaille. Bravo à tous les deux!