La part de dieu et du diable et une pop-psychanalyse du web

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C’est en discutant avec le pote avocat Me Éric Franchi sur son mur Facebook que j’ai pris conscience d’une réalité qui me trotte dans la tête depuis un certain temps. Il parlait du fameux cas Dieudonné et il se proposait pour défendre l’indéfendable paradoxe de la liberté d’expression vs l’abus de celle-ci, au nom de l’humour. Dans les commentaires, l’une de ses connaissances proposa l’hyperlien d’une vidéo YouTube du sociologue Français Gérard Bronner qui présente son livre La démocratie des crédules.

Dans celui-ci, il s’intéresse au rapport entre les croyances collectives et la démocratie. Sa thèse est qu’avec l’augmentation de la diffusion des connaissances et de l’information qui circule à une vitesse folle, on pourrait croire qu’il y a une augmentation de la rationalité des gens « ordinaires ». Or, c’est tout le contraire qu’il observe. C’est qu’avec toute cette information qui circule, il n’y a plus de mécanismes de régulation et de curation de celle-ci. Les experts, journalistes, politiques voire les savants, sont maintenant sur le même pied d’égalité que les gens qui partagent des idées farfelues et les théories conspirationnistes les plus folles. En somme, l’infobésité aurait pour effet de mettre sur le même pied (dans l’esprit des gens) les contenus vrais et argumentés, aux contenus douteux et farfelus. Cette infobésité creuserait alors un biais de confirmation. C’est-à-dire que vous avez tendance à accepter les idées (vraies ou fausse) auxquelles vous croyez déjà. Donc, notre société serait à une croisée des chemins entre une démocratie des crédules et une démocratie des connaissances.

Sans avoir lu le livre, je dois admettre être totalement en accord avec cette prémisse de base.

Dans un autre ordre d’idée, et tout de même pour faire suite à cette prémisse, je suis de plus en plus convaincue que le web devient notre conscient et notre inconscient collectif. Or, chez l’être humain, l’arbitre de la dualité entre le bien et le mal est le surmoi, qui vient ajouter une couche de « régulation » entre ce qu’il est convenu de juger acceptable ou non. Mais dans le web, ce mécanisme salutaire d’auto-régulation n’existe pas. Il y a bien les lois (civiles et criminelles) des états qui tentent, tant bien que mal, de réguler les contenus et comportements sur le Web, mais de l’externe et à postériori. Il y a certainement aussi différents filtres de censures qu’imposent certains joueurs du Web ou certains états. Mais le web comme tel, est un espace de diffusion libre, du meilleur et du pire, du bien et du mal, c’est l’œuvre de dieu et celui du diable. Or, la part du diable est d’une viralité hallucinante. Elle l’a toujours été. Avant le web (et encore aujourd’hui) dans les médias traditionnels, les 3S (sang, sexe et sport) ont toujours fait vendre, et font cliquer. Mais hors du Web, il y a tout de même plus de « surmoi ». Il y a ce que l’on appelle les « gatekeepers » que sont les rédacteurs en chef, les systèmes de revues des pairs scientifiques, le CRTC, les codes de déontologie et il y a aussi les lois. Sur le Web, rien, niet, nada. Pas (ou peu) de mécanismes de contrôle à l’entrée et pas (ou peu) de mécanismes de contrôle à la consommation. On m’a rappelé sur Twitter lorsque je préparais ce billet qu’il y avait tout de même la nétiquette. Mais la nétiquette est encore très peu comprise par l’usager moyen est somme toute inopérante contre les contenus ou comportements déviants. C’est là que le bat blesse. C’est là que les contenus et comportements déviants fleurissent et c’est là que je m’inquiète pour la salubrité émotive et intellectuelle des usagers.

Je n’ai pas de réponses, je n’ai pour l’instant que des questions et cette réflexion que je vous partage. Je ne crois pas que la censure soit la solution, mais je ne vois pas encore de solution. Je m’inquiète pour mon petit-fils, mais aussi pour les vôtres…

MAJ

Le synopsis de La démocratie des crédules :

Pourquoi les mythes du complot envahissent-ils l’esprit de nos contemporains ? Pourquoi le traitement de la politique tend-il à se peopoliser … ? Pourquoi se méfie-t-on toujours des hommes de sciences ? Comment un jeune homme prétendant être le fils de Mickael Jackson et avoir été violé par Nicolas Sarkozy a-t-il pu être interviewé à un grand journal de 20 heures ? Comment, d’une façon générale, des faits imaginaires ou inventés, voire franchement mensongers, arrivent-ils à se diffuser, à emporter l’adhésion des publics, à infléchir les décisions des politiques, en bref, à façonner une partie du monde dans lequel nous vivons ? N’était-il pourtant pas raisonnable d’espérer qu’avec la libre circulation de l’information et l’augmentation du niveau d’étude, les sociétés démocratiques tendraient vers une forme de sagesse collective ?

Cet essai vivifiant propose, en convoquant de nombreux exemples, de répondre à toutes ces questions en montrant comment les conditions de notre vie contemporaine se sont alliées au fonctionnement intime de notre cerveau pour faire de nous des dupes. Il est urgent de le comprendre.

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Commentaires

  1. eric

    CQFD. Merci Michèlle pour la note de synthèse de nos échanges d’hier. tu me confirme que l’on doit cultiver sa vérité en silence,et je te confirme que l’on ne peut pas plaire à tout le monde, ce qui nous confirme que chacun fait ce qui lui plait, comme disais la chanson mais que l’Union fait la Force et que l’amour est plus fort que la guerre

  2. Amanda Etheridge

    Bonjour Madame Blanc,
    Comment un jeune homme prétendant être le fils de Mickael Jackson et avoir été violé par Nicolas Sarkozy a-t-il pu être interviewé à un grand journal de 20 heures? -> j’ai beau chercher dans internet une mention de cet interview, je ne trouve rien… Soit l’information a été supprimée du web, soit c’est une intox de plus.

  3. Jean-François Paradis

    Hyper intéressant comme point de vue. Ça me donne envie de lire le livre en question. Et en effet, j’ai également l’impression que même les esprits les plus censés et logiques peuvent tomber dans le piège des effets néfastes de l’infobésité (quel mot sublime… Merci de me le faire découvrir) et du manque flagrant de discipline morale et scientifique qu’elle procure. Merci pour ce billet enrichissant!

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  5. Martin Dufresne

    Je généralise un peu sauf que si tout le monde est maintenant sur le même pied d’égalité c’est sans doute que les gens se rendent compte que peu importe qui tu es; un expert, un journaliste, un politicien voire même un savant leurs paroles ne sont pas toujours vraies. Un journal qui veut augmenter ses cotes d’écoute tombe dans le sensationnalisme, que dire des belles promesses d’un politicien! Les savants ou scientifiques qui sont payés par des Monsanto de ce monde pour faire une étude positive au goût du géant ou pour rendre non crédible celle d’un autre scientifique afin de protéger l’image et les produits de ce même géant. Partout c’est de plus en plus comme ça donc pourquoi les croire plus que les théories conspirationnistes.
    Parfois on pourrait croire que tout est bullshit!

  6. Leila

    Quel bel article, merci. Il me rejoint beaucoup car j’ai également ce genre de questionnement. Eh oui, moi aussi, je m’inquiète pour mes enfants qui sont toujours sur le net exposées à toutes sortes de désinformation. Le tri est difficile. C’est pourquoi je leur parle beaucoup à en être essoufflée tel quelqu’un qui nage à contre-courant!

  7. Marco

    Excellent article qui ammene effectivement à pas mal de reflexion.
    Je suis comme l’auteur du livre, c’est à dire profondement optimiste dans l’avenir. Ne peux on pas penser que certains exces que l’on voit maintenant dans cette infobésité viens du fait que le média internet est encore tout jeune, et qu’il va lui aussi atteindre une maturité qui permettra d’obtenir des filtres plus efficace ? Dois-t-on imputer à l’exces d’info le fait que les fait divers fassent la une des grand journaux, ou ce point n’est-il pas lié à d’autres contraintes ?
    Bon je penses néanmoins que je ne vais pas tarder à aller acheter son livre, faisons confiance aux universitaires !!