Ce soir je suis triste, fière et angoissée.

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Je suis triste

Hier, je suis allée voir mon père à l’hôpital. Il me parlait des flammes de la mort devant lesquelles il avait reculé. Il me disait que la prochaine fois, il n’hésiterait pas à les traverser. Il me disait sa douleur de se voir finir ses jours comme ça. Il était dans un corridor de l’hôpital Notre-Dame en attendant un changement de chambre. Depuis décembre dernier, il ne peut plus faire de vélo. Sa dernière passion. À 86 ans, beau temps mauvais temps, il allait voir les constructions de Montréal. Il se divertissait de ces gratte-ciels qu’on monte. Il a toujours été inventif et créatif. J’ai en mémoire ses deux cabanons à l’architecture très innovante qu’il avait construit avec une fenêtre au milieu des deux pentes de toits décalés qu’il avait inventés, ce, malgré sa 3e année scolaire. Mais depuis six mois, sa santé périclite rapidement. Très rapidement. Il fait les portes tournantes entre son appartement qu’il avait encore jusqu’à la semaine dernière, et l’hôpital.

Avant hier, en allant à la toilette de sa chambre d’hôpital, il s’est écrasé. Ses jambes ne le supportaient plus. Déjà, depuis plusieurs semaines, il a une marchette. Lui, cet homme fier et bâtit comme un cheval dont l’exploit était de lever une Volksvagen beetle, par en avant, où se situe le moteur. De se voir ainsi diminué l’affecte beaucoup. Hier, de son lit d’hôpital dans le couloir, pour la première fois de ma vie, je lui caressais le front. Il pleurait abondamment et s’en voulait d’avoir eu peur de la mort alors qu’elle lui avait rendu visite. Il capotait à l’idée de ne plus pouvoir marcher. Cette incapacité est certainement tributaire de l’infection sanguine qu’ils viennent de découvrir, mais sa vision en était tout autre.

Je ne savais pas s’il avait vu ces flammes en rêve ou en hallucination mais j’étais certaine qu’il me parlait de son désir de partir une fois pour toute.

Aujourd’hui, j’ai appelé plusieurs fois à sa chambre sans réponse. Ce soir, d’un message Facebook de mon plus vieux frère, j’apprends qu’il a décidé d’en finir et qu’il refusera tous les soins à partir de maintenant et qu’il ira en soins palliatifs.

Je suis fière

J’arrive enfin à pouvoir communiquer avec quelqu’un à sa chambre. On me le passe. Il accueille le son de ma voix avec un « bonjour Michelle » Lumineux et enjoué. Il me dit qu’il a arraché tous ses fils et qu’il a arrêté ses antibiotiques. Qu’il refuse tous les traitements et qu’il veut en finir. Je lui dis que je comprends et que je l’accompagne dans cette décision. Je lui demande s’il est serein avec sa décision et sa réponse est sans équivoque. Je lui dis que je l’aime, il me répond qu’il m’adore, qu’il est fier de moi et qu’il me remercie de tout ce que j’ai fait. Dans ma tête je ne sais pas de quoi il est fier mais ça me fait tellement de bien de l’entendre de sa bouche et ça me rend vraiment très fière.

J’angoisse

Demain j’irai le voir. Je sais que ça ira bien, que ce sera émotif et qu’on se fera nos adieux de nombreuses fois d’ici son trépas. Mais j’anticipe aussi la suite avec des membres de ma famille qui ne me parlent plus depuis maintenant dix ans. J’angoisse à l’idée de les croiser à l’hôpital ou au cimetière. Je ne veux vraiment pas faire ombrage à ce passage difficile que vivra mon père et je veux être là pour lui. Mais en même temps, je ne veux vraiment pas être l’objet de discorde durant ce moment crucial pour lui et pour mes frères et sœurs. J’envoie des ondes positives à l’univers pour que les étoiles s’alignent et que les choses se passent bien. J’ai accompagné ma mère et ma belle-mère dans ces derniers moments, j’aimerais en faire autant pour mon papa…

MAJ

Il est 03:52 du matin. Je me réveille. Je pense à mon père.

Il m’a inculqué l’amour des arbres et des plantes. Le jardin de fleurs et d’arbres de mon enfance était le plus beau du quartier. C’était mon père et ma mère qui voulaient ça. Ils voulaient qu’on grandisse avec la beauté de la nature qu’ils voulaient recréer derrière notre maison à Neufchatel . Je le revois encore planter cet érable mature à quatre troncs, sous la pluie battante, dans le coin de la cour avec sa force surhumaine. Je me souviens aussi qu’il me faisait arracher les pissenlits par la racine et les herbes sous la clôture blanche avec mes mains. Ça me faisait vraiment chier de devoir faire ça à 8 ans. Pourtant, lorsque j’ai eu ma première maison à St-Bruno-de-Montarville, pour le taquiner gentiment, je suis allé avec lui acheter un arrache pissenlit que je l’ai fait choisir et ironiquement, mon gazon était sans pissenlit et je faisais cette tâche avec affection pour lui. C’est aussi à cette période qu’il me donna mon héritage. Il me donna ses outils. Ceux-là même qu’il avait utilisé pour construire de ses mains ses merveilleux cabanons. Il me donna ses rabots, son équerre, son kit de soudure, sa scie, ses mèches et ses couteaux à bois. Est-ce de la synchronicité mais cette semaine c’était l’anniversaire de l’un de mes neveux qui est venu nous voir pour la première fois à Chertsey durant une partie du week-end. Je lui donnai un marteau en lui disant que ça lui permettrait de bâtir sa vie et un niveau pour que celle-ci soit équilibrée. Je ne savais pas la symbolique que ce geste et les souvenirs prendraient en moi quelques jours plus tard. C’était un geste spontané que je n’avais pas réellement réfléchi. Aujourd’hui ça me touche de me remémorer d’avoir fait ce geste et dit ces mots.

L’héritage de ma mère a été ses livres et la collection de films et de photos de la famille. Son dernier cadeau a d’ailleurs été une encyclopédie des fines herbes et épices. En songeant à ça je réalise que mes parents m’ont donné tous les deux leurs passions et leurs fiertés de faire. Aujourd’hui j’irai voir mon père avec deux gros albums de photos de la famille. S’il le désire, je les regarderai avec lui afin qu’il puisse faire le chemin de ses souvenirs.

Je suis assise à mon bureau et je pense à Georges. Georges est mon arbre préféré de mon terrain. C’est un pin centenaire sur le bord du lac, juste au coin de la terrasse où je passe mes étés. Georges a toujours été pour moi la représentation symbolique de mon père. Même si mon père s’en va, il sera toujours avec moi…

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Commentaires

  1. Michelle Joly

    Chère Michelle, je te souhaite d’affronter cette étape avec courage et sérénité. C’est difficile de les laisser partir mais il faut respecter leur choix. Mon père adoptif que j’aimais tant est décédé en 1993 et j’aurais tant voulu lui tenir la main il était au bout du rouleau et il a attendu d’étre Seul pour nous quitter. Tu dois l’accompagner peut importe ceux et celles qui seront là, tu es sa fille quoique les autres en pensent. Qui sait un rapprochement pourrait arriver dans ces circonstances….je te le souhaite. Il suffit d’ouvrir son cœur et lui donner plein d’amour il partira tout en douceur.
    Bon courage.

  2. Jonathan

    Bonjour Michelle,

    J’ai lu ton billet avec beaucoup de chagrin. Je vois aussi mes parents vieillir et ça me fait de la peine. Je n’ai pas hâte au jour ou ils seront privés de faire ce qu’ils aiment. Moi-même j’ai peur de viellir et d’être privé des plaisir de la vie.

    Malgré tout, le seul conseil que je peux te donner, c’est de penser à toi et de rester toi même tout le long de ce dernier projet. Jusqu’au dénouement final, tu sauras que tu es resté toi-même et que tu as pensé à toi (et à ton père).

    Continu de faire tes billets et de publier sur Facebook. Bref, continu d’être toi même, car le monde a besoin de gens intègrent comme toi.

    Jonathan

  3. Rachel St-Denis

    Pour avoir vécu cette épreuve plusieurs fois déjà, je comprend votre peine.
    Pour savoir ce qu’est l’angoisse, je comprend…

    Je vous embrasse très affectueusement,
    Rachel

  4. Monique Bellavance

    Je vous comprends et je vous accompagnerai, soyez certaine que vous aurez la force intérieure pour traverser le passage obligé de votre père et la peine que vous éprouvez envers ce père qui vous adore, accrochez-vous à son Amour et pas à pas, vous avancerez sereine. Courage, c’est pénible la peine que vous vivez, Vous n’êtes pas seule, je vous mets dans mes pensées pour les jours à venir.

  5. Micheline Gamache

    Chère Michelle,
    Je t’envoie ainsi qu’à ton père des ondes d’amour et de courage pour traverser cette période. Je serai au Machu Pichu demain, j’aurai des pensées pour vous deux et pour ta famille. Les dieux Incas accepteraient peut-être de faire un petit miracle de réunification, qui sait ?

  6. Sylvie Savoie

    Salut Michelle, tu peux être sereine avec tout ça. Suite à la lecture, tu as eu le meilleur des meilleurs, tu n’auras aucun regret, car il t’a dit de vive voix ce que tout enfant désire entendre. Un très beau privilège que la vie t’a donné que tu pourras chérir. Pour le reste de la famille continue à leur pardonner. Nos pensées t’accompagnent Luc et moi. Xx

  7. Nathalie Carpentier

    Chère, Belle Michelle,
    Suis et demeure avec Vs de TOUT💗… Soyez assurée de ma présence indéfectible en pensées et en prières: Force/ Courage/ Confiance• et ce par expérience similaire: 7années consécutives/ 1à2 accompagnements par an… Allez! la “Vie” se change de bien, bonnes, belles “Choses”💓❗️💕🌻🌾‼️🙋🏻🐹

  8. Marlène

    Bonjour Michelle,
    Je vous comprends tellement et symphatise avec vous.
    Ce sont des moments difficiles de la vie et je parle en connaissance de cause car je n’ai plus mes parents.
    La résilience nous aide beaucoup à accepter le départ de ceux-ci et surtout l’amitié et l’amour de nos proches. Bon courage.

  9. Sylvie

    Tellement bien dit – touchant et plein de vérité. Mes pensées sont avec vous chère Michelle.xxx

  10. Suzanne Lavoie

    Quel émouvant témoignage Michelle, accompagner les personnes que l’on aime en fin de vie est un passage difficile. Mes pensées sont avec vous pour que vous puissiez accueillir avec sérénité ces derniers instants. Gros câlin d’amour!

  11. Francois Lavallee

    Merci pour ce partage.
    Merci pour votre authenticité et votre transparence, deux qualités trop souvent mal aimées dans notre société rigide et opaque.
    Merci pour cet exemple d’humanité.
    Bon courage dans cette épreuve qui nous rassemble.
    Vos textes frappent toujours de la bonne façon , à la bonne place et au bon moment.
    Merci.

  12. Lise Ouellet

    Très touchant ce billet, les jours à venir ne seront peut-être pas les plus faciles mais vont vous faire grandir encore plus. Bon courage et par ce message je vois encore plus le grand cœur qui vous habite. 💗💗💗

  13. Sylvie

    Michelle, je partage ta peine, pour qu’elle te soit moins lourde. Xoxox

  14. Annie Caya

    Bon courage Michelle, à toi et à ton père. Un billet très touchant, je trouve tellement respectueux le geste d’accepter et d’accompagner quelqu’un qui fait le choix de ne plus continuer.

  15. Carolle Lessard

    Chère Michelle,
    Je suis particulièrement sensible à l’incroyable défi de vivre simultanément le départ de ton père et l’inconnu de la rencontre avec les membres de ta famille. J’espère que ces derniers seront sensibles au risque que tu prends, qu’ils reconnaîtront ta capacité d’amour et de fidélité à ton père et que leur rejet n’a aucunement sa place dans ce moment.
    Sois fidèle à toi, reste près de toi et prends soin de l’enfant qui est en train de perdre son père. N’entretiens pas trop d’attentes et tout ce qui pourra arriver ce sont de belles petites surprises.
    Avec tout mon respect, bonnes rencontres, 💜💜💜

  16. Legars

    Je vous souhaite plein de courage et de force intérieure.
    Prenons la vie comme elle est, même si nombres de ses aventures sont souvent de réelles épreuves individuelles, sociales et familiales.
    Tendresse et soutien.

  17. Maria Vieira

    Bonjour Michelle,

    Vous êtes dans ce passage où la vie quittera bientôt votre seul et unique père. Les relations entre vous sont prioritaires maintenant. Ce passage ne peut se revivre. Vous lui avez fait cadeau de votre présence et de votre amour, et lui, de son côté, vous l’a rendu. L’essentiel est là. Un cadeau précieux que ce dialogue entre vous.

    Vous seul savez ce qui sera bien pour vous. La douleur du rejet, du passé; les souffrances associés aux relations familiales se situent dans un temps donné. «On ne fait pas l’économie de la douleur», répétait souvent un professeur lors de mes Études sur la mort. Et ce, même si on le souhaite de tout coeur.

    Je vous souhaite de vivre ce passage pour vous. En pensant à votre lien, votre relation. Vous avez droit de vivre ce passage en lien avec lui, en émettant vos craintes aussi, ça fait partie de votre réalité, de votre sensibilité.

    Oui, il est possible qu’il y ait des changements inattendus avec les membres de votre famille ou encore que les relations demeurent au même point avec eux. Ce qui demeure essentiel, c’est la relation que vous désirez vivre jusqu’au bout. La question demeure celle de la relation désirée en ce moment, dans l’accompagnement à votre père. Comment garder l’intention d’être là, de rester en place, auprès de celui qui vous aime et vous reconnaît telle que vous êtes et en est fier tout en étant rejeté ou en vous sentant rejeté par les autres membres ou en revivant des expériences passés (même en souvenirs) ? Qu’est-ce qui est le plus important pour vous à ce moment-ci? Comment vivrez-vous le fait de ne pas avoir pris votre place? Peut-être que le dialogue avec votre père aura permis de clarifier votre décision et de savoir que, présente ou absente, vous demeurez présente à ses yeux.

    Le plus important demeure votre désir, votre besoin en lien avec lui. Tout le reste se rattrape, la mort, elle, fait fi de l’environnement, elle est définitive.

    Vous savez tout cela et prendrez les meilleures décisions pour vous. L’essentiel a été dit. L’amour demeure éternel, puisse cette pensée être un baume en ces moments décisifs.

    Pour avoir accompagner des êtres chers et pour en accompagner encore et être près des personnes endeuillées, je me suis permise de partager mes pensées avec vous. J’espère ne pas vous heurter en quoique ce soit.

    Je vous envoie mes meilleures pensées. Vous êtes la personne la plus importante et votre père connaît votre amour. Tout est dit….

  18. Sylvie Myre

    Bonjour Michelle,
    Je suis triste de cette nouvelle, le décès de ton père… mais surtout ce qui m’attriste c’est le fait que tu ais manqué les instants suivant son départ.
    Même si tu lui avais sans doute fait tes adieux, comme tu me l’avais partagé, les premiers moments où la chaleur est encore présente et que les souffrances sont éteintes, ces instants sont précieux et nous permettent souvent un contact plus grand, plus profond… A ce moment on prends réellement conscience de la fin; et les adieux sont empreints de toute la délivrance, le soulagement mais aussi ils sont réels. Je suis triste car je sais combien ils sont précieux et je sais que ce sont les circonstances qui t’ont volé ces instants. On dit qu’on choisit notre vie, notre parcours et nos épreuves et que nous avons quelque chose à apprendre… Je sais que la douleur est profonde mais je sais aussi que tu es forte et que tu as su garder un contact bien privilégié avec lui, que tes souvenirs sont remplis de tout l’amour qu’il a eu pour toi. Qu’il repose en paix et pour toi, que le courage qui t”anime continue de te soutenir dans les épreuves .
    Amitiées, Sylvie

  19. Serge Lemire

    Salut Michelle,

    Ça y est…j’ai les yeux pleins d’eau. Magnifique texte. J’ai aimé ta spontanéité pour ton neveu. C’était chargé, très chargé. J’imagine que l’équilibre fut difficile à vivre pour toi dans ta transformation.
    Et que ça doit être difficile de vivre quand des membres de la famille nous rejettent. On a beau dire qu’on s’en fout…ça blesse.
    Ma mère a 82 ans et elle commence à tomber de plus en plus souvent. C’est une femme fière, trop fière pour prendre sa marchette…et je la comprends tellement. J’ai 62 ans, je suis fatigué par des années de consommation, de sobriété et de consommation avec tout ce que ça comporte comme vie amoureuse. Merci d’être! Je t’embrasse et te souhaite mes sincères condoléances!

  20. Frédéric Chiasson

    Ouf, toutes mes sympathies dans ces moments difficiles! Je vous souhaite de retrouver la sérénité parmi toutes ces péripéties.