Le concept de vie privée en ligne, back to the future

Le concept de vie privée et son évolution dans le temps est depuis quelques années intimement reliées au Web. Avec raison, plusieurs instances gouvernementales d’ici et d’ailleurs, se questionnent et légifèrent afin de limiter l’exploitation qu’en font ou que peuvent en faire les diverses organisations qui peuvent ou font la collecte de données personnelles.

À ce propos, je félicite bien bas ma cliente, amie et collaboratrice de dossiers clients communs, Me Eloïse Gratton, dont l’ouvrage capital “Understanding Personal Information: Managing Privacy Risks” (LexisNexis 2013) vient d’être cité à deux reprises dans un jugement de la Cour suprême du Canada (union free expression rights trump privacy concerns: Alberta PIPA unconstitutional ).

Mais pour revenir à la question de la frontière fluctuante de la vie privée, j’attire votre attention sur un récent article de Don Peppers Privacy: A “Boomer” Concept Soon Outdated? Il y dit:

Obviously, different people have different views about privacy, but there’s also a distinct and overtly obvious age gradient to it. The older you are, in general, the more likely it is you’ll be worried about your personal privacy. Baby Boomers seem to be all aflutter over the issue, but for most of us in the Millennial generation, privacy protection is practically a non-issue. Just try to start a conversation with a 20-something about how “scared” they are of having their privacy violated. You’ll likely get a “WTF?” look, but not much more. (And yes, I consider myself a mental-age Millennial, even if my chronological age disqualifies me.)

More important than a company having personal information about you is what they do with it. Increasingly, transacting in any sphere requires the exchange of digital data – personal information that is used to make a product or service more relevant, and to save the consumer from having to re-input information over and over again. But this data, like any other data, can be stored, analyzed, exploited and re-used, virtually forever.

This is certainly one reason people are demanding more and more trust from the vendors and others they deal with. One way I illustrate proactive trustworthiness, in my presentations, is by pointing out that Amazon will remind me that I already bought a book I am about to purchase, before I make the mistake of ordering it again. And if I can trust Amazon to watch out for my interests proactively like this, then why would I be worried that they’re going to somehow pull a “Big Brother” with my information? Does not compute. On the other hand, if I didn’t trust them, then I’d only expose myself to the minimum possible extent. Why on earth would anyone deal with a business they can’t trust?

Il y présente donc l’évidence qu’en fonction de l’âge, la perception de ce qu’est la vie privée en ligne, varie grandement, que l’information personnelle transmise à une organisation peut grandement améliorer, au bénéfice du consommateur, l’expérience client et que cette expérience elle –même engendre de la confiance envers l’organisation. Il rappelle aussi plus loin dans son texte, que ces données personnelles sont traitées par des machines et que les machines se foutent littéralement de qui vous êtes.

De toute évidence le besoin de légiférer et de paramétrer l’usage des données personnelles est primordial. On n’a qu’à suivre les récentes péripéties d’Edward Snowden pour s’en convaincre. Par contre, l’assertion populaire que « tout le monde sait qui vous êtes et ce que vous faites sur les médias sociaux » est souvent grandement exagérée. Et lorsqu’elle ne l’est pas, s’agirait-il simplement d’un retour dans le temps? Je vous rappelle que les grandes villes déshumanisent le citoyen, qui ne sait rien souvent de son voisin immédiat. Par contre, le web lui nous ouvre la porte à ce que l’on nomme le village global. Nous savons beaucoup de choses d’une personne à l’autre bout de la planète en ignorant tout de notre voisin physique. L’expression « village global » n’est pas anodine puisqu’il y a à peine 100 ans, nous vivions dans des villages et chacun des habitants savait tout de ses voisins. On dit d’ailleurs que cette proximité engendrait l’entraide, le support collectif et la valorisation que chacun avait un rôle à jouer dans la société. Même l’idiot du village et le mendiant étaient pris en considération. Chaque maison avait même son banc de quêteux à l’entrée des demeures.

Je vous rappelle aussi qu’il existait un instrument qui rendait disponible à la planète entière, vos noms, prénoms, adresse physique exacte et numéro de téléphone. Cela est presque impensable aujourd’hui. On appelait pourtant cette technologie « le bottin téléphonique ».

Alors la prochaine fois que vous « ferez des boutons » avec la peur que vos données personnelles soient en ligne, songez que c’est vous-mêmes qui décidez ce que vous partagez (ou pas) et qu’il y a certainement quelques très petits bénéfices possibles à ouvrir un tant soit peu, un pan de notre vie privée en ligne…

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C’est ce twitt qui me fait réagir

@jocelynerichard @MichelleBlanc plus le temps passe moins il y aura de vie privée. D’un simple clic on saura tout de vous…effrayant

Je lui réponds tout de go

@R_Kibonge faut pas non plus être parano cc @jocelynerichard

Il est vrai que de plus en plus d’informations circulent sur nous sur le Web. Il est aussi primordial que le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, continu de faire son excellent travail de surveiller le respect de la Loi sur la protection des renseignements personnels, laquelle porte sur les pratiques de traitement des renseignements personnels utilisés par les ministères et organismes fédéraux, et de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE), la loi fédérale sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. Vous avez d’ailleurs un excellent site (Media-awareness.ca/français) qui discute intelligemment de la vie privée sur le Web.

Cependant comme le mentionne à juste titre danah boyd dans son allocution à SXSW rapporté par le figaro “The Power of Fear in Networked Publics” :

“Nous vivons dans une culture de la peur. L’économie de l’attention offre un terrain fertile à la peur. Ma question est : comment les réseaux sociaux propagent et entretiennent cette culture de la peur.

La technologie n’est ni bonne, ni mauvaise, ni neutre. Il y a une dynamique constate qui affecte la technologie une fois qu’elle est utilisée. Ainsi, tous les médias sociaux sont devenus mainstream. SXSW n’est plus une histoire de geeks, les médias sociaux ne sont plus des plateformes de geeks.

La peur n’est pas juste un produit de forces naturelles, mais est utilisée sciemment pour contrôler les publics et les inciter à faire des choses.

La peur est une émotion importante. C’est une façon qui nous aide à apprendre. C’est une façon de s’amuser. C’est un façon complexe de réagir aux choses.

La peur peut être utilisée pour contrôler les gens. A fortiori dans un contexte américain, de l’après-11 septembre. Elle a été utilisée par les médias pour contrôler les gens. En tant que pays on a été en “alerte orange” depuis une décennie (gloussements dans la salle NDLR). En venant ici, nombre d’entre nous sont passés par la sécurité à l’aéroport. On fait ce qu’on nous dit. C’est devenu une part de la culture américaine.

J’ajouterai à ça que les médias traditionnels carburent à la peur et alimentent sans cesse ces peurs qui sont liées (plus souvent à tort qu’à raison) à l’internet. Tout comme au début du siècle les gens avaient peur des appareils photo qui pouvaient « voler leurs âmes », des gens ont encore peur des médias sociaux qui « volent leurs identités ». À ce propos, j’ai maintes fois répétés que le vol d’identité n’est pas un problème web et qu’il ne l’a jamais été. C’est un mythe créé par et pour les médias traditionnels afin de discréditer le nouveau venu qui gruge chaque jour une part plus importante de leur modèle de revenus. Tout comme il est maintenant tout à fait normal d’avoir son nom, son adresse personnelle, et son numéro de téléphone aux vues et au su de tous (ça existait d’ailleurs bien avant le web et ça s’appelait un bottin téléphonique), il est maintenant aussi normal d’avoir quelques photos, contenus et détails sur notre parcours professionnel et personnel à la vue et aux sus de tous. Il faut certes être prudent et réfléchir à ce qu’on partage en ligne et à quelle entreprise on cède ou pas des données à caractères personnelles, mais il ne faut pas non plus tomber dans la paranoïa. Plusieurs de ces mythes sont regroupés dans mon blogue sous ma catégorie mythes du commerce électronique et je vous invite certainement à être prudents avec les informations que vous partagez en ligne, mais aussi à être vigilant quant aux nombreuses « peurs irrationnelles » que de plus en plus nous sommes « brainwashé » à croire.