Un triste exemple éloquent de cyberagression sexuelle

La semaine dernière j’ai été citée dans l’article Participante de La Voix intimidée sur le web et il y a un an, je publiais la revue de littérature Cyberagression sexuelle au Canada grâce à la participation financière de Condition Féminine du Canada et le parainage des CALACs Fracophones d’Ottawa. Ils ont d,ailleurs complété cette revue de presse par des rencontres terrains avec des jeunes de l’Ontario et le document final est ici.

Tout ça pour vous dire qu’on discute beaucoup de cyberintimidation mais que le cyberharcelement qui lui touche les adultes, est encore trop peu discuté dans nos médias et plus triste encore, les corps de police sont sans outils et désarmés devant ce phénomène. Voici donc un courriel reçu ce matin (avec des éléments caviardés pour protéger l’identité de la victime) et qui illustre éloquemment ce terrible phénomène de cyberagression sexuelle.

Bonjour Michelle!
Je m’appelle (Caviardé pour protéger l’anonymat de la victime). J’ai décidé d’entrer en contact avec toi suite à un article parut dans le journal de Montréal la semaine dernière sur la cyberintimidation et dans lequel tu y faisais un commentaire.

Je tenterai de te faire une histoire courte avec tout ce qui m’est arrivé mais j’aimerais avoir ton avis sur la situation et surtout savoir s’il existe des recours autres que ce dont j’ai essayé.

J’ai 36 ans et je suis (Caviardé pour protéger l’anonymat de la victime). Il y a 2 ans, j’ai rencontré un Dominicain en République Dominicaine et après quelques mois et plusieurs voyages là-bas, nous nous sommes mariés. La lune de miel n’a pas duré. Le lendemain du mariage, il levait la main sur moi pour la première fois. Il s’en est suivi de plusieurs épisodes de violence physique et psychologique, de jalousie extrême et de menace de toutes sortes comme publier des photos et videos nue de moi sur le net. Nous étions mariés et nous nous voyions seulement qu’aux 2 ou 3 mois alors il me semblait normal d’accepter sa demande de nous échanger ce genre de photos et vidéo en attendant qu’il puisse avoir son visa pour venir ici avec moi au Canada et pour lequel j’avais accepté de le parrainer. Je suis tombée enceinte, chose qu’il souhaitait par dessus tout, et la goutte à débordé du vase lorsqu’il m’a frappé une ultime fois durant le début de ma grossesse et qu’il m’a menacé de sortir lui-même le bébé si je tentais de fuir. J’ai jouer le jeu afin d’être capable de sortir du pays et qu’il me laisse revenir au Canada.

Ça m’a pris quelques mois avant d’avoir le courage de le laisser, de couper totalement les ponts avec lui et d’entreprendre des démarches pour le divorce car je savais de quoi il était capable et j’avais très peur des conséquences. J’ai pris ma décision le 26 mars dernier, j’ai contacté mon avocate pour entamer les procédures, j’ai avisé mes proches et les gens de mon travail des menaces qu’il m’avait faites, j’ai avisé immigration Canada afin de stoper la demande de parrainage et je l’ai bloqué de partout. Évidement, il a mis son plan a exécution.

Il appelait sans cesse à (Caviardé pour protéger l’anonymat de la victime) où je travaille, il harcelait les téléphonistes et mes collègues, il harcelait mon avocate et menaçait de me mettre dans le trouble et que je devrais payer pour tout ça avant qu’il meure. Il a créé un profil facebook à mon nom avec ma photo, a fait des demandes d’amitié à tous les gens de (Caviardé pour protéger l’anonymat de la victime) en se faisant passé pour moi et a écrit des menaces et des méchancetés de toutes sortes à mon sujet. Il a aussi publié sur ce même compte des photos et vidéos nues de moi. Beaucoup de gens ont signalé ce compte mais ce n’est qu’il y a deux semaines que facebook l’a fermé définitivement. Il a aussi publié des vidéos sur youtube avec un faux compte à mon nom et je n’ose imaginer quoi d’autre il a pu faire sur le net car j’ai demandé à mes proches de ne plus me mentionner ce qu’il fait et de simplement le signaler sauf si ma vie est en danger ou qu’ils ont vent qu’il a réussi à venir ici au Canada.

J’ai contacté la police ici qui me disait au départ qu’elle ne pouvait rien faire car il est en République et que ma vie n’était pas en danger. J’ai contacté la police nationale en République qui m’a dit qu’elle lui donnerait un avertissement mais sans plus. Au mois de juin, j’avais amassé assez de preuves et de faits pour que la police ici me rencontre, prenne ma déposition et mette ça entre les mains d’un enquêteur au criminel. Une semaine plus tard, l’enquêteur me rappelait pour m’informer qu’il n’y a rien d’autre à faire que de signaler les sites en question et que même la gendarmerie royale ne pouvait rien y faire. J’ai obtenu mon divorce le (Caviardé pour protéger l’anonymat de la victime) heureusement mais mon avocate dit qu’il n’y a pas vraiment d’autres procédures envisageable contre lui pour que le harcèlement arrête. Encore hier, il a créer un autre compte facebook et à écris à mes proches sur messenger pour leur dire des méchancetés sur moi et les aviser que je suis maintenant populaire sur les réseaux sociaux en raison de mes photos et vidéos.

Ma seule arme depuis le début est l’ignorance et de ne jamais lui avoir adressé la parole ou entré en contact avec lui depuis que j’ai pris ma décision en mars. J’avais espoir qu’il finisse par se lassé et qu’il passe à autre chose mais en vain. Ça ne s’arrête pas et j’ai l’impression que ça ne s’arrêtera jamais. (Caviardé pour protéger l’anonymat de la victime). Mais je suis fatiguée, à bout, sans vraies ressources et je ne sais plus quoi faire pour que ça arrête.

Je ne sais pas si tu peux m’aider dans cette situation ou si tu as des conseils à me donner mais j’aimerais vraiment avoir ton opinion. Beaucoup de ressources existent pour la cyberintimidation envers les mineurs ou encore envers la cyberintimidation qui se passe ici au Canada…mais qu’arrive-t-il au gens qui vivent ce que moi je vie? Je ne dois certainement pas être la seule à qui ce soit arrivé!

Merci de l’attention que tu porteras à ce e-mail

Sincèrement
(Caviardé pour protéger l’anonymat de la victime)

40% d’adolescentes affirment avoir été victimes de cyberagression sexuelle

40% d’adolescentes répondantes d’une recherche affirment avoir été victimes de cyberagression sexuelle. C’est le constat alarmant que fait Josée Laramée, du CALACS Francopnone d’Ottawa dans sa récente recherche action-communautaire La cyberagression à caractère sexuelle au Canada (PDF).

Parmi les participantes, 40 % ont mentionné avoir été victimes d’une forme de cyberagression à caractère sexuel. Devant ce pourcentage élevé, on peut confirmer que le cyberespace représente un enjeu alarmant. Considérant l’ampleur du problème, nous faisons face à un défi de taille lorsque l’on envisage des solutions pour y remédier ! L’exploitation sexuelle des filles sur Internet n’est pas une expérience isolée, il s’agit d’une situation grave et sérieuse qui est encouragée par notre société.

Cette recherche visait à valider sur le terrain, la réalité que vivent les jeunes. Ce document est la suite de la première partie que j’ai rédigé et qui était une revue de la littérature sur le sujet.

Cette recherche-action communautaire sur la cyberagression à caractère sexuel (CACS) est un coffre d’outils pour aider la collectivité à intervenir et représente les résultats des consultations auprès des jeunes. Vous trouverez à la fin du document la première partie de la recherche sur la recension des écrits qui a été publiée en mai 2015.

Ces rencontres terrain, viennent confirmer les statistiques qu’avaient déjà observer Statistique Canada:

En 2012, la police a identifié 2 070 victimes d’actes de violence comportant un cybercrime. (…) La majorité des victimes d’actes de violence liés à un cybercrime (69 %) étaient de sexe féminin, cette proportion passant à 84 % lorsqu’il était question plus particulièrement d’infractions sexuelles. Les victimes de cybercrimes déclarés par la police sont généralement jeunes. Dans l’ensemble, 42 % des victimes d’affaires de violence mettant en cause un cybercrime identifiées par la police avaient 17 ans ou moins, tandis qu’une autre tranche de 17 % des victimes étaient de jeunes adultes âgés de 18 à 24 ans. (…) En 2012, 96 % des victimes d’infractions sexuelles liées à un cybercrime étaient âgées de 17 ans et moins, dont 10 % avaient moins de 12 ans. Dans l’ensemble, près des trois quarts (73 %) des victimes d’actes de violence liés à un cybercrime connaissaient l’auteur présumé. (…) Les victimes d’infractions sexuelles comportant un cybercrime étaient moins susceptibles de connaitre l’auteur présumé (57 %), comparativement aux victimes d’infractions avec violence de nature non sexuelle (77 %).

Heureusement, malgré les constats alarmants, il existe des pistes de solution. La recherche en fait état à de nombreuses reprises et vous pouvez consulter le tableau ci-bas, qui les regroupe.

Tableau des interventions possibles pour contrer la cyberagression sexuelle

La cyberagression sexuelle, faut en parler. Je laisse le mot de la fin à Josée Laramée, l’auteur de cette très pertinente recherche :

Les maux pour le dire !

En parler, c’est la solution la plus efficace ! Le problème ce n’est pas Internet, le problème c’est l’usage que nous en faisons. Pour apporter des changements réels, nous devons offrir une tribune aux jeunes pour leur permettre d’échanger sur leurs expériences en cyberagression sexuelle et il faut les aider à prendre conscience de l’impact nocif de la socialisation différentielle axée sur les stéréotypes et le sexisme. Cette socialisation se manifeste aussi dans la cyberagression sexuelle. La #CACSCanada comme toutes formes d’agression à caractère sexuel est partout : à l’école, chez le voisin, auprès des proches et des inconnues, dans toutes les sphères de la société et à tous les niveaux. La technologie nous suit partout ! Toutes les recommandations s’adressent à la collectivité en général.

Rapport sur la cyberagression sexuelle au Canada

L’automne dernier, après avoir fait une conférence à propos de la Cyberviolence à caractère sexuel pour les CALACS francophones d’Ottawa, ils m’ont demandé de faire une recherche de données secondaires (pour les néophytes il s’agit d’une revue de la littérature déjà disponible) pour le sujet de La cyberagression à caractère sexuel. Cette analyse est financée par Condition Féminine Canada et se poursuivra par une recherche de données primaire (il s’agit de sondage ou d’entrevues individuelles) auprès des jeunes de quatre écoles secondaires d’Ottawa.

Ça fait déjà longtemps que je fais des recherches et des écrits à propos d’une foule de phénomènes web. Mais ce mandat revêt un caractère très particulier pour moi. C’est que je sais qu’il permettra de comprendre un phénomène extrêmement dévastateur pour les victimes, qu’il offrira quelques pistes de solutions, qu’il identifiera les lacunes et les enjeux et qu’il me permet de passer outre mes propres blessures de victime de nombreuses menaces de mort et de harcèlement ne ligne. C’est une manière pour moi de créer du positif à partir d’évènements malheureux.

Ça me touche donc particulièrement de vous présenter ici, en primeur, le labeur de mon travail, mais aussi des très nombreuses personnes qui ont aussi planché sur ce document et qui sont nommées dans l’introduction rédigée par les CALACS francophones d’Ottawa. Je remercie aussi chaudement mesdames Josée Guindon et Josée Laramée qui mont confié ce mandat et monsieur Nam Hai Hoang (mon stagiaire) qui a passé de nombreuses heures à sélectionner et colliger l’imposante littérature que nous avons utilisée pour cette recherche.

Bonne lecture
La cyberagression à caractère sexuel
Recherche-action communautaire
Première partie : recension des écrits

Rapport: La cyberagression à caractère sexuel: aider la collectivité à intervenir by CALACS francophone d Ottawa

MAJ

Mon entrevue (audio) à l’émission Le midi-trente de la première chaîne de Radio-Canada Gatineau-Ottawa

Cette recherche et l’initiative de Calacs d’Ottawa fait aussi les manchettes télévisées de Radio-Canada
Les « cyberagressions sexuelles » sous la loupe du CALACS d’Ottawa