Caroline Neron, l’effet Streisand et le backlash médiatique, mérité ou pas

Il devient difficile d’être une personnalité publique en ces temps de sensationnalisme média, de lynchage médias sociaux et de mise en exergue des actualités dans les résultats naturels des moteurs de recherches. Le travail de relations publiques en cette ère hyper connectée devient un chemin du combattant périlleux.

Je ne me suis pas impliquée dans ce qu’on pourrait appeler le « scandale Caroline Néron ». J’ai lu en diagonale la couverture de presse négative qui lui a été faite comme suite à son entreprise qui se place sous la protection de la Loi sur la faillite, je n’écoutais pas l’émission Les Dragons à laquelle elle participait et je n’ai pas vu son passage à Tout le monde en parle d’hier soir.

Je note cependant que, de plus en plus, il m’apparait que les médias aiment « personnaliser les manchettes » et que les affres des autres, font vendre. Pour cette deuxième assertion, ce n’est pas nouveau. Les médias ont toujours fait leurs profits, leurs clics et leurs choux gras des malheurs humains. Mais, je perçois une certaine aggravation de la « hargne médiatique » que j’associerai à l’explosion des chroniqueurs et des « faiseurs d’opinions » qui pullulent maintenant dans nos médias. Jadis, les opinions ne se lisaient pratiquement qu’à l’éditorial. Le reste des nouvelles médiatiques se résumaient aux faits et le journaliste se devait de garder une certaine objectivité et de donner les deux côtés d’une médaille (alors qu’ironiquement, l’épaisseur d’une médaille est en soi un troisième point de vue). Or depuis 2000, avec l’apparition des stations de nouvelles en continu et en 2005, l’époque de la guerre journaliste/blogueurs, les médias ont instauré leurs propres blogues, quelques années plus tard, leurs pages Facebook (avec pratiquement aucune modération de commentaires) et les chroniqueurs ont commencé à être démultipliés dans les médias et les stations de nouvelles en continu. J’ai moi-même été chroniqueuse au feu Canal Argent, dans le Journal Les Affaires, avec Isabelle Maréchal et à l’émission LeLab de feu, Canal Vox. Cependant, je chroniquais à propos de la technologie et pas à propos des acteurs de cette industrie. J’observe aussi que maintenant, même les journalistes, ont commencé à émettre des opinions à même les nouvelles.

Un autre phénomène qui transforme les médias est le titrage. De tout temps, les titres ont été faits par des titreurs et non par le journaliste qui a écrit l’article. J’observe (et je suis sans doute biaisée) que les titres disent souvent le contraire de ce que l’article présente, mais qu’ils sont désormais très efficaces pour attirer le clic. Par ailleurs, comme je l’expliquais dans mon billet Gestion proactive de crise médias sociaux et gestion de l’image, depuis le cas Barilla, les moteurs de recherches ajoutent de l’eau au moulin des médias.

si un terme de recherche particulier a une croissance fulgurante à un moment donné et que la section Actualité avec ce même terme de recherche s’adonne aussi à avoir une croissance anormale, c’est très probablement que ce terme de recherches est « d’actualité » et que la boîte d’actualité devrait apparaître dans les résultats naturels de l’engin de recherche.

Résultat Naturel de Google pour une recherche Caroline Néron

Résultat Actualité sur Google pour une recherche Caroline Néron

Moi-même, si je vous parle de ce cas aujourd’hui, c’est qu’il est hautement médiatisé, hautement présent sur les médias sociaux et comme nous venons de le voir, hautement présent aussi sur les moteurs de recherches. Le fait somme toute anodin de départ, une entreprise de vente au détail qui est en difficulté financière, devient un sujet de discussion sans fin qui se nourrit lui-même. C’est ce que l’on nomme « l’effet Streisand ».

Madame Néron était une vedette, son entreprise est en difficulté financière, elle donnait des conseils à l’émission Les Dragons, était-elle une bonne entrepreneure, a-t-elle pris les bonnes décisions, sait-elle se défendre des attaques, devait-elle se défendre, les Dragons sont-ils des mentors à suivre et patati et patata… Pourtant, la précarité des entreprises de ventes au détail est loin d’être un phénomène exceptionnel. Pas plus que les difficultés financières d’une (ou d’un ) entrepreneure. Pourtant, depuis une semaine on titre, on commente et on analyse ce cas de toutes les facettes imaginables.

Je suis triste pour madame Néron qui est la victime de ces cabales, je suis triste pour les médias dont la mission « d’information » me semble de plus en plus arbitraire, sensationnaliste et destructrice et je suis triste pour les technos qui participent, amplifient et stigmatisent à outrance ces dérives maintenant sociétales. On dit que les médias sociaux sont des égouts à ciel ouvert. J’observe par contre que ces égouts sont maintenant alimentés par toute une constellation d’acteurs qui auraient dû plutôt informer et faire grandir nos sociétés…

Ryanair et les médias sociaux. Point de vue RH et marketing

La semaine dernière je reçus un appel de FranceInfo qui voulait avoir mon point de vue sur l’épisode de la compagnie aérienne à bas prix Ryanair qui a fait fermer les comptes Twitter et Facebook du syndicat non-autorisé des pilotes (l’article et l’entrevue de FranceInfo La dangereuse stratégie de communication de Ryanair sur les réseaux sociaux) . Le pote Vincent Berthelot qui a entendu le reportage me propose d’en faire un billet conjoint pour mon blogue. Le voici donc :

Le point de vue de Vincent

Ryanair vient en peu de temps de se faire de nouveau une réputation sulfureuse que l’on peut considérer du point de vue client comme du point de vue RH.

Je laisse à mon amie Michelle Blanc la partie client en tant que spécialiste du marketing et des réseaux sociaux pour aborder la question RH avec quelques coups de projecteur.

La première réaction est bien entendu mais qui aura encore envie de travailler pour cette compagnie après de telles réactions publiques ?

Qui a envie de travailler pour un employeur qui est décrit comme voulant économiser le moindre euro quitte à offrir un service déplorable mais surtout bafouer les droits élémentaires de ses salariés. , Droits sociaux et droits d’expression ? Ryanair ne supportant pas que ses employés puissent dénoncer leurs conditions de travail et les atteintes à la sécurité en interne comme en externe utilise la menace de licenciement pour museler cette mauvaise publicité.

Cette menace a été mise à exécution pour M. (John) Goss, un des plus anciens pilotes de ryanair qui avait mis en doute la sécurité de la compagnie sur Channel 4. On arrive ici aux notions de droits de réserve des employés mais aussi droit d’alerte et surtout la question de la position des syndicats dans cette affaire.

Les relations sociales chez Ryanair semblent se dérouler sur les réseaux sociaux et non en interne puisque son PDG, Michael O’Leary considère depuis toujours que les syndicats sont inutiles.

Autant dire que la création en 2012 du syndicat Ryanair Pilot Group (RPG) n’a guère été appréciée par la direction et le syndicat qui affirme syndiquer plus de la moitié des pilotes de la compagnie n’est pas reconnu par Ryanair.

Comme la compagnie engage une grande partie de ses employés sous contrat irlandais ou sous le statut d’auto-entrepreneur les différentes actions des employés ou syndicats locaux sont des plus compliques. Ryanair doit faire face à des poursuites pour travail dissimulé en France et le syndicat belge CNE (la Centrale nationale des employés) dénonce lui les conditions de travail imposées aux hôtesses et stewards de Ryanair basés à l’aéroport de Charleroi.

A ces différentes réclamations qui sont le lot quotidien des relations sociales en Europe, la compagnie Low cost oppose des démentis et surtout une fin de non recevoir qui empêche tout dialogue productif. Ryanair n’a donc aucun syndicat comme interlocuteur et se contente de représentant du personnel mais s’étonne que les problèmes internes finissent par rejaillir en externe.

On imagine la qualité du dialogue sociale dans une telle entreprise et son image comme marque employeur alors que nombre de recrutements sont prévus dans les années qui viennent au regard des commandes de nouveaux avions passées par la compagnie.
Mais le pari de Ryanair est clair si on écoute son responsable com Robin Kiely. : N’importe quel pilote Ryanair qui n’est pas satisfait est libre de quitter l’entreprise vu que nous avons une liste d’attente de 5000 pilotes et membres d’équipages souhaitant se joindre à nous.
Le cynisme conduit Ryanair à manager ses ressources humaines avant tout par le turnover et non l’engagement de ses salariés dans une activité qui pourtant met la sécurité de millions de personnes en jeu chaque année. A votre avis une telle entreprise est-elle en mesure d’attirer des talents ou juste d’embaucher des mercenaires ?

Mon point de vue :

Je dis tout le temps à mes clients qu’ils se doivent d’ouvrir proactivement une présence sur chaque média social afin de ne pas être victime de « brand hicjacking ». C’est-à-dire qu’une autre entité s’accapare, une présence média sociale à votre place. Par ailleurs, je dis aussi qu’il est plus facile de contrôler la conversation chez soi que d’être victime de la conversation qui se fera de toute manière, ailleurs. Il est plus facile de répondre avec des arguments positifs chez soi que de s’immiscer dans une conversation qui a lieu dans un environnement où ne somment pas les bienvenus.

Une marque se doit de protéger ses actifs d’images. Il est courant pour une marque de demander à des entités qui abusent de son trade-mark de cesser ses activités. Cela peut se faire par la voie des communications classiques, ou juridiques. Il est cependant préférable que cela soit fait longtemps avant qu’une crise éclate. Puisqu’après, qu’on agisse légitimement ou non, la perception sera qu’on n’est qu’un vil censeur.

Cette censure « perçue » créera inévitablement un remous que l’on nomme l’effet Streisand et aura comme résultante d’augmenter la visibilité de ce que l’on voulait voir disparaitre.

Ainsi, depuis que Ryanair a fait fermer le compte twitter de ses employés, des dizaines d’autres comptes twitter, de pages et de groupes Facebook, tous plus néfaste à la marque les uns que les autres sont apparus. D’ailleurs une recherche Google Actualité avec le nom de la marque, ne permet pas (pour l’instant), de redorer le blason de Ryanair.

La morale

Si vous devez faire fermer des comptes médias sociaux d’usurpateur de votre brand, idéalement faites-le lorsqu’il n’y a pas de tempêtes à l’horizon. Si vous le faites durant la tempête, on croira (peut-être à tord) que c’est plutôt parce que vous avez quelque chose à cacher…