- Michelle Blanc, M.Sc. commerce électronique. Marketing Internet, consultante, conférencière, auteure. 18 ans d'expérience - https://www.michelleblanc.com -

Journalistes versus blogueurs

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Dans le petit monde de la blogosphère québécoise, quelques commotions ont secoué les tripes des carnetiers locaux. Ces commotions sont issues de certains papiers émanant de la presse écrite tel que celui du rédacteur de Direction Informatique Patrice-Guy Martin, Le Bogue avec les blogues [2] ou encore ceux plus récents, de Franco Nuovo du Journal de Montréal Un blogue, quossa donne? [3] et Blogueur, va! [4]

Depuis, bon nombre de blogueurs et de connaissances personnelles, m’ont demandé ce que je pensais de toute cette affaire. Voici donc un papier sur la question.

D’abord, traitons des récriminations de la presse

Les récriminations de l’intelligentsia journalistique : Pour M. Patrice-Guy Martin, les blogues peuvent être synonymes de manque de crédibilité inhérente à l’approche non journalistique des blogueurs :

« Si un quidam quelconque se met à traiter de tous les noms un fabricant informatique sur son blogue, est-ce qu’un directeur informatique accordera à ces propos malveillants autant de valeur qu’il le ferait à un article de magazine traitant des nouveaux produits du même fabricant ? J’ose espérer que non. […] Il est certain que, comme journalistes, nous sommes tous les jours confrontés avec cette évaluation de la crédibilité des sources. Si nous effectuons du journalisme sérieux, dans des cas de reportages qui soulèvent des problématiques litigieuses, nous voulons toujours nous assurer de corroborer l’information obtenue par plus d’une source. »

M. Nuovo quant à lui, rejette du revers de la main les blogues puisqu’ils sont sans intérêt, rédigés de manière déficiente, égocentrique.

« Je trouve les blogues – ceux de certains collègues, ceux du blogueur ordinaire en général – plutôt banals, souvent sans rigueur, et rédigés dans la plupart des cas, même ceux de certains écrivains, dans une langue un peu paresseuse. […] On en dit, des choses à propos des blogues. Le premier lieu commun, c’est qu’il s’agit d’un journal intime. Or, y a-tu quelque chose de plus plate que de lire le journal intime d’un autre? Va encore pour celui qui, égocentriquement, l’écrit dans l’intérêt, croit-il, de la collectivité. »

La réponse aux récriminations

Curieusement, le manque de rigueur journalistique est l’un des éléments qui a le plus secoué le temple médiatique mondial ces dernières années. Nous avons tous en tête le manque d’indépendance journalistique américain lors de l’invasion de l’Iraq et l’image plutôt étrange des journalistes « embeded » (traduit par au lit) dans les forces américaines. Nous avons aussi le souvenir des scandales ayant fait trembler, Dan Rather et CBS [5] ou le New York Times [6].

D’ailleurs, lors de ma réponse à l’article de M. Martin, (dans le billet Ne croyez rien de ce blogue [7]), j’explique la récente erreur d’interprétation du nombre de blogues qu’a fait ABC News [8] comparativement aux propos de TheBlogHerald [9] sur le même sujet. Les vertus de l’intégrité et de l’efficacité journalistique ne sont donc peut-être pas aussi fortes qu’on le prétend. Dans un même ordre d’esprit, la Guerre en Iraq, les attentats de Londres, le Tsunami d’Asie de l’Est et les inondations de la Nouvelle-Orléans, ont tous connu une couverture médiatique revue et améliorée grâce à l’apport incontestable des blogues.

Pour ce qui est de la critique « journal intime égocentrique », il est bon de rappeler qu’il existe une multitude de types de blogues. Des blogues intimes, des blogues d’entreprises, des blogues didactiques, professionnels, de l’éducation et j’en passe. Si je veux connaître une information de pointe à propos de l’engin de recherche Google par exemple, suis-je mieux de consulter un article dans Wired.com [10] ou encore de me référer à des blogues spécialisés tels que Zorgloob.com [11], seroundtable.com [12] , blog.earchenginewatch.com [13] ou encore le blogue de l’ingénieur en chef de Google mattcutts.com/blog/ [14] ? Pour ma part, je ferais certainement le tour de tous ces sites et de bien d’autres encore. Je me rendrais compte par la suite que ces informations se complètent admirablement. Pour revenir encore sur l’aspect journal intime de certains blogues, est-il pertinent de souligner que les journalistes d’humeur dont M. Nuovo ou Foglia font partis, ont la cote des lecteurs précisément parce qu’il est rafraîchissant de lire les détails d’une visite à l’hôpital, d’un commentaire à la bien-aimé, d’une saute d’humeur du chroniqueur ou d’une sortie bien ficelée sur une réalité sociale ou politique qui a fait réagir ce même chroniqueur. Ce sont souvent les mêmes types de commentaires « journal intime » que nous retrouverons dans les blogues avec, j’en conviens, moins de rigueur de style, d’écriture et pourquoi pas, d’inspiration.

Une certaine suffisance des blogueurs?

En terme de récrimination contre la presse, Chris Anderson [15], rédacteur de Wired, inventeur du concept de la longue queue [16] et blogueur [17] écrit :
Six raisons pour lesquelles il préfère les blogues au journalisme professionnel, pour des sujets de niches spécifiques où ses intérêts sont les plus grands : [18]

1. Les blogueurs respectent assez les lecteurs pour ouvrir leurs commentaires.

2. Lorsqu’ils font une erreur, ils ont tendance à la corriger.

3. Ils comprennent que chacun des faits qui peuvent être liés à sa source, doit l’être.

4. Parce qu’ils ne jouissent pas d’une « crédibilité institutionnalisée », ils font l’impossible pour corroborer leur dire avec des preuves. Les assertions, sans sources, sont souvent dénoncées par les lecteurs et paradoxalement, les blogues sont souvent plus rigoureux que les pièces journalistiques traditionnelles. Les blogueurs doivent acquérir la confiance de leurs lecteurs, pas seulement l’assumer.

5. Les blogues sont souvent écrits par des praticiens, pas seulement des observateurs; leurs analyses sont donc souvent plus justes et détaillées.

6. Si leur source d’information vient d’une discussion de café ou n’est que le fruit de leur opinion, ils sont assez grands pour l’admettre de facto.

Qui sont les gagnants de l’affrontement?

Mais quels sont les médias les plus regardés, les blogues ou encore les grands médias traditionnels? Dans un récent papier, Jason Kottke [19], dans son blogue Kottke.org [20] , a comparé les résultats de recherches sur Google, pour les grandes nouvelles d’actualité de 2005, entre les médias traditionnels et les blogues. Selon son classement, les médias traditionnels ont remporté 6 contre 2 dans le classement des résultats de Google pour les requêtes des 8 nouvelles d’importance de 2005. Dans un autre billet (Médias traditionnels vs blogues [21]) je citais David Sifry , de Technorati [22]qui concluait que bien que les blogues accaparent une part toujours plus importante du lectorat international, les médias traditionnels ont toujours la pôle position. Les médias n’ont donc pas à craindre d’être supplantés par les bloqueurs d’ici peu. D’ailleurs pourquoi cet intérêt à opposer les blogues et les médias. Pour ma part, je crois plutôt qu’ils sont complémentaires. Tout comme le professeur Rosen de NYU [23], dans son billet Bloggers vs. Journalists is Over [24]

Typically, the debate about blogs today is framed as a duel to the death between old and new journalism. Many bloggers see themselves as a Web-borne vanguard, striking blows for truth-telling authenticity against the media-monopoly empire. Many newsroom journalists see bloggers as wannabe amateurs badly in need of some skills and some editors.

This debate is stupidly reductive — an inevitable byproduct of (I’ll don my blogger-sympathizer hat here) the traditional media’s insistent habit of framing all change in terms of a “who wins and who loses?” calculus. The rise of blogs does not equal the death of professional journalism. The media world is not a zero-sum game. Increasingly, in fact, the Internet is turning it into a symbiotic ecosystem — in which the different parts feed off one another and the whole thing grows.

Pour poursuivre la réflexion:

Dumenco, Simon, Adage.com, A BLOGGER IS JUST A WRITER WITH A COOLER NAME Why Blogging vs. Traditional Media Has Been Oversold [25], Jan 16, 2005

Le blogue de Patrice Lagacé, Un blogue… Why ? [26]

SCHWARTZ, JOHN , The New York Times, Blogs Provide Raw Details From Scene of the Disaster [27], dec. 28, 2004,