- Michelle Blanc, M.Sc. commerce électronique. Marketing Internet, consultante, conférencière, auteure. 18 ans d'expérience - https://www.michelleblanc.com -

Mélancolie du Grand Antonio

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Le grand Antonio (de son vrai nom Antonio Barichievich) [2] était l’homme le plus fort du monde (du moins, c’est ce que l’on disait dans mon enfance). Il tirait des autobus avec ses cheveux, il luttait avec des ours et réalisait mille prouesses herculéennes. Lorsque j’étais enfant, à l’école, on avait toute une panoplie de gags sur le grand Antonio du genre :

Comment fait la femme du grand Antonio pour entrer dans l’autobus ? Elle entre de côté…

Elle n’est pas très drôle, mais à l’époque nous nous esclaffions sans lendemain. Le grand Antonio était une STAR. Or, par une journée d’été, sortie de nulle part, une vieille Datsun déglinguée vint s’arrêter dans ma rue et le Grand Antonio lui-même vient rejoindre mon groupe de ti-culs pour nous donner les pamphlets de son prochain spectacle de tir d’autobus avec ses cheveux qui aurait lieu dans la paroisse voisine de Loretteville dans la région de Québec. Nous étions estomaqués, stupéfaits, charmés et hypnotisés par cette montagne de muscle, cet Hercule que nous voyions devant nous en chair et en os. Il était gentil, souriant et nous étions trop impressionnés pour dire quoi que ce soit. Nous étions tous bouche bé. Puis il remonta dans sa Datsun et malgré la dizaine de poches de sables côté passager, qui servait à garder un certain ballant à la voiture, nous la voyions partir de travers, sous le poids du monstre vivant.

Plusieurs années plus tard, je revis Antonio et sa tignasse non lavée depuis des dizaines d’années et qui lui servait de treuil pour ses exploits, assis seul sur un banc au coin de St-Laurent et Mont-Royal. Il y vendait des collages, format carte postale, de différents moments de sa carrière mirobolante. Il avait été accueilli par tous les présidents et têtes couronnées de la planète. Il avait impressionné les foules des quatre coins du globe et il était là, dans sa déchéance physique et mentale et j’avais pitié. Je lui donnais de l’argent et refusait ses cartes en lui disant que ça lui en ferait plus à vendre à d’autres. Mais comme il était fier, il ne voulait pas de charité il voulait vendre ses cochonneries. Alors, je lui donnais un bon montant et le remerciait d’avoir illuminé mon enfance et d’avoir un si grand talent pour les collages. Je vous parle de ça parce que c’est jour-ci je pense à lui. Je me souviens du jour de sa mort et de ma tristesse en apprenant ça et de mon dégoût du scandale que l’idée de lui ériger une statue fournit par l’artiste de renom Armand Vaillancourt [3] et qui a été refusé par la ville de Montréal (vous pouvez signer la pétition [4]), avait fait dans une certaine intelligentsia intellectuelle. C’est qu’on se fâchait qu’on reconnaisse ce perdant, cette loque humaine qui n’avait rien fait d’autre que d’être fort. Eux ne savaient pas la lumière qu’il avait laissée dans les yeux de tant d’enfants .
Je pense aussi à lui en songeant aux autres personnages tels que ce clochard dont parle la copine Geneviève [5]:

Leon (qui dans les faits s’appelle Gilles) me raconte sa vie. Ses mois en Irlande quand il a tourné dans “Barry Lyndon” le film de Stanley Kubrick. Il jouait Lord Bullingdon. Il est resté avec Kubrick après le tournage, il est devenu son assistant jusqu’à la mort du maitre, Miss Berenson le tutoyait, il connait l’histoire de la Panaflex adaptée pour un objectif conçu par la NASA – système qui a permis à Kubrick d’éclairer Barry Lyndon à la chandelle – “Leon Vitali, je m’appelle Leon Vitali, tu vérifieras dans le dictionnaire du cinéma, je suis là”.

Combien de ces heureux fous ont fait rêver de gens ? Vous pouvez les aider en participant à  la Guignolée. C’est ce que je vais faire et je vais aussi retourner à mes doux souvenirs qui sont toujours aussi formidables…