- Michelle Blanc, M.Sc. commerce électronique. Marketing Internet, consultante, conférencière, auteure. 18 ans d'expérience - https://www.michelleblanc.com -

Chier dans ses culottes

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Hier, dans mon billet La peur du changement [2] (qui est aussi un synonyme de chier dans ses culottes, j’aime ça le titres provocateurs, que voulez-vous…), je m’en prenais à l’éditorialiste de Le Devoir, Marie-André Chouinard pour l’article Médias – Le poids du blogue. Voici la réponse qu’elle me fit en commentaire [3]:

Madame,
LA MADAME en majuscules prend quelques lignes pour vous répondre.
J’ai lu votre billet, de même que les commentaires qui s’y rattachent. Vous ne me voyez nullement étonnée de ce type de réactions : l’éditorial du Devoir de ce matin visait en plein coeur la communauté des blogueurs, et il était écrit par une journaliste! Bien sûr, les blogueurs qui se sont sentis attaqués ont décodé ce texte en imaginant une guerre blogeurs contre journalistes.
Et pourtant… Je relis attentivement le texte de ce matin, et je crois qu’il faut le prendre pour ce qu’il est: une mise en garde imposante sur la confusion des genres, d’abord et avant tout un glissement dont est coupable la communauté journalistique, blogueurs exclus.
Malgré le peu d’espace dont je disposais, je pense avoir pris soin de mentionner que divers types de blogueurs se commettaient dans l’espace public. Je ne suis pas moi-même une de celles-là, mais cependant une consommatrice assidue et discrète de nombre de blogues de tous genres. Je suis à même de constater la diversité des genres. Cela est fort bien. On y retrouve des chroniqueurs, des journalistes-blogueurs, qui utilisent cet espace comme d’autres une colonne dans un journal, des blogueurs engagés et affichés, d’autres militants mais discrets sur leur affiliation. Je dis: sur la blogosphère, ce débat est sain, nécessaire.
Je ne vois évidemment non plus aucun problème à ce que les blogueurs aient accès à des congrès politiques, au même titre que quiconque en fait la demande. Mais de là à leur ouvrir la porte de la section de la presse, les inviter à participer aux points de presse, leur permettre l’accès aux «scrums» menés par des journalistes, je dis «holà!».
Le blogueur peut très bien se prononcer sur son espace sur l’événement du jour, en l’occurrence le congrès. Il peut aussi rapporter la nouvelle à sa manière. Le visiteur de son blogue saura décoder son message pour ce qu’il est. Mais qu’on n’en fasse pas un «journaliste», car son intérêt, sa formation, son intention, n’ont rien à voir peut-être avec ceux du journaliste, qui demeure une vigie et un chien de garde, une courroie de transmission entre l’espace politique et social et la population. Sa manière de rapporter les faits ou de les commenter est d’ailleurs régie par des codes d’éthique et de déontologie qui, s’ils sont respectés, évitent les dérapages.
Voilà simplement ce que j’ai tenté d’exposer, sans pour autant vouloir museler les blogueurs ni non plus mépriser leur rôle. Il s’agissait justement de remettre les pendules à l’heure quant au rôle respectif de chacun. Je m’accuse toutefois d’être, dans cette histoire, une… journaliste.
LA MADAME
Marie-Andrée Chouinard
Éditorialiste au Devoir

Voici donc ma réponse:
Ma-da-me Chouinard
J’ai aussi mis en majuscules le mot ENFIN, mais ne le prenez pas personnel. La petite guéguerre que vous réfutez avoir parti, ne date pas d’hier. Vous êtes donc un peu en retard sur vos collègues éditorialistes Patrice-Guy Martin, Le Bogue avec les blogues ou encore ceux de Franco Nuovo du Journal de Montréal Un blogue, quossa donne? et Blogueur, va! [4] De l’autre côté de l’Atlantique aussi, ça fait déjà un bout que ce même débat a eu lieu (dans le contexte politique de l’accréditation de blogueurs pour l’UMP en 2006, chez Embruns [5]) et aux USA aussi avec le fameux Attack of the Blogs en 2005 [6] . Votre éditorial n’a donc pas grand-chose d’original ou de nouveau, si ce n’est le profond mépris envers les blogueurs qu’il démontre. En qualifiant les blogueurs
• De porte-voix partisans
• D’emberlificoteur blogueur
• qui s’adonne à l’impressionnisme partisan

Versus les journalistes
La presse, cette vigie sociale, ce contrepoids politique, cette raisonneuse des événements qui tente d’offrir sa compréhension des affaires publiques
Bon, vous parliez peut-être à vos collègues journalistes mais remplaçons vos épithètes accordées aux blogueurs et ceux des journalistes et j’ai comme la petite impression qu’un blogueur, qui aurait écrit cet éditorial à l’envers, serait au pilori des journalistes pour un méchant moment.
Vous parlez de la formation des journalistes? Mais de quelle formation parlez-vous? Un certificat? Dans mon jeune-temps, j’avais débuté un certificat en journalisme (à l’Université Laval) et les cours étaient tellement poches qu’à la mi-session, j’ai changé pour un bloc complémentaire. M’enfin… Je connais nombre de journalistes accrédités qui n’ont jamais suivi ces cours « accrédités » et qui travaillent dans de grands médias. Ils ont une bonne tête sur les épaules, savent écrire et sont capables de comprendre les limites éditoriales que leur patron leur impose. Le travail de journaliste (comme celui de professeur) peut certes profiter d’un encadrement, de paliers de formation mais la réalité fait que souvent ce sont plutôt des gens ayant des formations supérieures, mais n’ayant aucun rapport avec le journalisme, qui font du journalisme. Ils sont souvent, par contre, formés dans la discipline du sujet qu’ils couvrent (genre un bac en politique pour être journaliste politique). Faites donc le tour de vos collègues et revenez me dire le pourcentage de ceux qui ont réellement été sur les bancs d’école faire un bac en journalisme. Ce n’est donc pas vraiment différent de ce qu’un blogueur pour le moins sérieux pourrait avoir comme formation. Et même des fois, les journalistes ont des formations qui sont en deçà de ce qu’on peut trouver pour certains blogueurs.
De la déontologie et de l’éthique.
L’éthique (ou plutôt son manque) est un problème de société que l’on retrouve à la grandeur des professions. Journalistes inclus. On ne règlera donc pas ça ici…
Du rôle de chacun
Vous voulez tracer une ligne entre les journalistes et les blogueurs et déterminer le rôle de chacun soit, c’est votre droit de vous accrocher à un sectarisme dépassé qui témoigne d’une « peur légitime ». Moi je préfère de loin la collaboration comme je la pratique depuis plusieurs années déjà avec nombre de vos collègues. Je suis certes une blogueuse, mais je suis aussi ce qu’on pourrait appeler une « experte » (qualificatif que souvent vos collègues utilisent à mon propos) qui aime grandement répondre aux questions d’autres journalistes. Je reprendrais aussi les propos d’un prof de journalisme (qui n’a peut-être pas fait de cours de pédagogie) de l’université de NY, Rosen, [4] et dont le code de déontologie n’est pas clair, mais moi je l’estime tout de même :

Typically, the debate about blogs today is framed as a duel to the death between old and new journalism. Many bloggers see themselves as a Web-borne vanguard, striking blows for truth-telling authenticity against the media-monopoly empire. Many newsroom journalists see bloggers as wannabe amateurs badly in need of some skills and some editors.

This debate is stupidly reductive — an inevitable byproduct of (I’ll don my blogger-sympathizer hat here) the traditional media’s insistent habit of framing all change in terms of a “who wins and who loses?” calculus. The rise of blogs does not equal the death of professional journalism. The media world is not a zero-sum game. Increasingly, in fact, the Internet is turning it into a symbiotic ecosystem — in which the different parts feed off one another and the whole thing grows.

En guise de conclusion, je vous remercie de remettre à l’ordre du jour ce très vieux débat et de le placer dans le contexte politique puisqu’il est grandement temps qu’ici, au Canada, la voix indépendante des citoyens soit considérée lors des grands débats démocratiques. Elle l’est déjà par la population mais votre éditorial pourrait l’ouvrir aussi aux sphères politiques qui en ont grandement besoin. Comme le disait le collègue blogueur/journaliste Vallier Lapièrre dans les commentaires ici [7]:

Que le média québécois le plus respecté pour son indépendance se permette un tel questionnement démontre aussi par ailleurs la faiblesse de la blogosphère québécoise. Lorsque les blogueurs américains ont été acceuillis de façon toute spéciale, dans une tente de presse affrétée par Google, à la convention démocrate de Denver après avoir été traités aux petits oignons à la Web 2.0 Expo du printemps à San Francisco, il ne s’est pas trouvé vraiment, à ce que je sache, de journaliste officiel pour se plaindre de ce changement. S’il y a eu quelque grondement, c’est pour protester que les services offerts aux blogueurs à San Francisco étaient supérieurs à ceux dévolus à la presse officielle.

On est vraiment dans deux mondes. Et vite un plan numérique pour dépoussiérer toute la société québécoise.

Finalement, vous dites « En cette ère où l’humeur côtoie parfois sans nuance l’information factuelle, les citoyens peinent déjà à pointer la nouvelle brute, retransmise sans le filtre de l’impression et de l’opinion. Valsant autour des faits, le journaliste, roucoulant, flirte avec le statut de vedette. »
J’ai comme l’impression que votre éditorial tombe en plein dans la catégorie de ces contenus d’humeur qui sont empreints d’impressions et d’opinions. Vous avez certainement un code d’éthique mais vos arguments souffrent de cette peur du changement qui pointe à l’horizon et qui risque de balayer bien des dogmes sur son passage. Ça ne m’empêche tout de même pas de vous considérer comme une journaliste qui fait son boulot consciencieusement…