- Michelle Blanc, M.Sc. commerce électronique. Marketing Internet, consultante, conférencière, auteure. 18 ans d'expérience - https://www.michelleblanc.com -

La crise appréhendée des journaux au Québec

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Voici mon point de vue très biaisé de la crise appréhendée des journaux au Québec. Tout d’abord, une disclosure.

Je pense que la FPJQ est un groupe de retardataires réactionnaires [2]. J’ai travaillé pour différentes composantes de l’Empire Quebecor comme on s’amuse à l’appeler. J’ai des entrées et des amitiés avec tous les grands groupes médias du Québec, j’ai écrit pour Branchez-vous, LesAffaires.com et été experte invitée régulière lors de la première année du canal Argent. Je connais aussi personnellement la plupart (pour ne pas dire tous) des journalistes technos du Québec et plusieurs de la France et de la Belgique. J’ai donc ce qu’on pourrait appeler une vision périphérique qui de plus est biaisée.

Je crois que la situation des médias écrits, nommément les journaux, n’est pas dramatique au Québec parce que comme pour le reste des phénomènes Web, nous sommes souvent deux ans en retard. Même nos chicanes blogueurs/journalistes se font avec un décalage du reste du monde [3]. Ça nous offre l’avantage d’apprendre des erreurs des autres, mais disons que pour l’innovation, on repassera. La situation ici n’est pas dramatique non plus parce qu’ici, il y a une concentration de la presse et que de ce fait, les grands groupes retrouvent un peu de ce qu’ils perdent d’un média, dans une autre de leur propriété médiatique. Aussi, même les annonceurs sont en retard ici et ne songent pas encore à exploiter le plein potentiel que leur offre le Web et croient encore aux balivernes que leur racontent les grandes boîtes de création de pubs du Québec. Finalement, notre microcosme linguistique nous protège aussi et certains des médias locaux ont des revenus qui feraient rougir de jalousie bien des voisins américains.
Cela étant dit, il ne faut pas non plus être dupe et croire que les bouleversements majeurs qui affectent la presse mondiale nous épargneront de son grand nettoyage. Disons simplement que si la moitié des médias écrits américains risquent de disparaître cette année, l’hécatombe ne sera pas aussi dévastatrice de ce côté-ci de la frontière. N’empêche que la pression est forte et qu’elle le sera de plus en plus. J’écrivais que même ici, pour la première fois, les journaux ont perdu la place de la pénétration au profit du Web et que seules la radio et la télévision jouissent encore de la primauté sur ceux-ci [4]. Mais les jeunes vieillissent et ils ne commenceront pas à faire ce qu’ils ne font pratiquement pas, c’est-à-dire lire les journaux. Et les vieux, vont éventuellement prendre leur retraite et c’est triste à dire, mais ils vont mourir et j’ai comme un gros doute que leurs ayants droit ne demanderont pas à ce qu’on paye un abonnement au journal préféré de son aïeul pour lui faire un plaisir d’outre-tombe. À moyen terme, ça ne regarde donc pas trop bien. En outre, les petites annonces classées qui ont longtemps été la vache à lait des quotidiens, ne s’en peuvent plus de mourir à petit feu devant les kijiji [5] et craigslist [6] de ce monde, et qui sont gratuits. C’est d’autant plus loufoque de savoir ça et de réaliser que la grève du Journal de Montréal et que les journalistes de l’un des journaux encore très rentables de nos médias, se battent pour sauver les jobs perdues d’avance de cette classe d’employés. Anyway, TOUT LES JOURNAUX NE MOURRONT PAS, ni les grandes marques d’ailleurs. Mais les pratiques journalistiques risquent de changer dramatiquement. J’ai d’ailleurs écrit un billet sur ce sujet précis. [7] Tout comme la radio n’est pas morte avec l’arrivée de la TV, le journal ne va pas mourir avec l’arrivée du Web. Il va cependant se transformer de fond en comble et sa version papier risque de devenir de moins en moins pertinente et elle est déjà peu écologique et nous coûte une fortune en frais d’enfouissement et de récupération.
Mais les journalistes ont peur! Ils ont raison! Leur emploi va changer et qu’ils le veuillent ou non, ils se devront de baiser la main de cette maudite convergence qu’ils conspuent depuis si longtemps. Ici, nous n’avons qu’une simili convergence. Il y a bien certainement celle de Star Academie qui fait couler tellement d’encre, mais outre cette épisodique convergence, Quebecor ne converge pas encore. Je l’avais d’ailleurs noté et applaudi lors du seul exemple réel de convergence de l’EMPIRE qui avait eu lieu lors du fameux scandale des piscines contaminées à Montréal [8]. Outre, ce fait et star ac, mais de quelle convergence parlons-nous? Il y a aussi cette convergence tacite, mais très efficace qui unit Gesca et Radio-Canada. Là on peut parler de convergence efficace et ils ne sont même pas du même groupe. Nous pourrions parler dans ce cas d’une convergence protectionniste et je ne me souviens pas d’avoir entendu aucun des journalistes qui y participent chialer là-dessus. Mais il m’en manque peut-être des bouts.
Mais c’est quoi notre problème avec la convergence?
Il y a bien celles de GE – NBC Universal,  FOX – News Corporation,  Walt Disney – ABC – ESPN, VIACOM – CBS – Paramount, AOL-Time Warner et les nombreuses tentacules de Sony. Mais ici il faut qu’on diabolise la convergence conglomératique? Imaginez que je n’ai même pas encore parlé de la convergence journaliste/média citoyen. Celle-là est la convergence d’entre toutes et ce sera celle qui sauvera notamment les petits. D’ailleurs, Pisani [9] dit à ce propos (mais il dit peut-être n’importe quoi puisque c’est un journaliste/blogueur de Le Monde):

Si le journalisme de toujours se caractérise par la production d’informations, il semble clair qu’il ne trouve pas (encore) de modèle économique sur le web.
Mais si le journalisme organisé autour du web implique d’autres pratiques (l’essentiel étant l’expérience, les conversations) alors le modèle économique qu’il faut trouver est différent. C’est celui d’un journalisme dans lequel la production n’est qu’en partie assurée par les professionnels et qui se structure largement autour des liens, du partage, de la participation. Les modes d’opération incluent les algorithmes et l’ex-audience.
En même temps que nous nous interrogeons sur son rôle et ses fonctions sociales, c’est l’économie de ce journalisme là qu’il faudrait modéliser.

Mais si nous revenons à la convergence médiatique classique, il y a cet exemple réussi (dans Nieman.harvard.edu [10]) du Nordjyske newspaper fondé en 1767 au Danemark. L’initiative est venue de la base et a été supportée par l’un des syndicats reconnu comme étant l’un des plus difficiles et hargneux de ce pays. Comme le dit le rédacteur en chef (l’initiateur du projet et on était en 2002) :

“The problem is that everybody wants progress but nobody wants change,” I told them. “If we want to keep our jobs, we have to develop ourselves and the way we work with journalism. But the consequence of progress is change; we have to do something else than we are used to doing and that brings with it insecurity. We get through it together, if we dare.” I then told them that in 10 months our regional newspaper, now slipping into a deep crisis, would become the most ambitious media house in Europe. “It will be tough,” I reminded them, “but when we’ve made it, we’ll have a future in which it will be fun going to work every morning and a newspaper in which we will make good stories.”
(…) The goal is to do better stories. Making sharper priorities and using different media platforms to tell that part of the story at which that medium is best. And by sitting closely together in a newsroom without walls with colleagues with the same beats and interests, we can share ideas, sources, research and thereby produce more and improve the total quality of our work.”
(…)Ten months later nearly the entire staff had changed jobs, offices, deadlines, editors, tools and colleagues. As we launched a new, more focused newspaper and added a free commuter paper aimed at younger readers in the big cities, in our community we introduced a regional version of CNN “Headline News.” These instant updates as part of local TV-news became an instant success. Within six months from our launch, we had more paid subscribers to 24Nordjyske, our cable TV station that broadcasts regional new s 24 hours a day, than we had on our newspaper, which dates back to 1767.

Our 250 reporters—no, we didn’t fire anyone—are no longer organized into groups with the task to fill certain pages or sections in a newspaper. They work together in a matrix organization, all under the same editor in chief, and each with the same basic task of telling good stories to people in Northern Jutland using the media best suited to the telling.

Mettons que c’est un maudit bel exemple de ce que pourrait être la convergence d’hier, ailleurs, appliquée à demain, ici.
Entre-temps, on peut toujours continuer à conspuer les conglomérats, à bitcher sur les blogueurs, à ne pas citer ses sources et à vomir sur l’apport citoyen comme cela s’est fait tant de fois et avec tant d’éclat comme avec cette récente escarmouche entre Marissal  et Lagacé rapportée par Canoe [11] :

Dans sa chronique à Bazzo.tv, Vincent Marissal a aussi laissé entendre que plusieurs journalistes dans Internet -pas tous -font du «flash», des «sparages», du «tape-à-l’oeil» et qu’ils ont «le droit de fonctionner sous un autre registre», «à un niveau de qualité diluée».