À propos des changements du travail journalistique

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Il m’arrive d’avoir des discussions passionnantes ailleurs que dans la vraie vie ou que dans mon blogue. Pour preuve, voici un extrait d’une discussion que j’ai eue avec Marc Desjardins, sur le mur Facebook (oui vous savez cet outil que d’aucuns disent inutile) de la copine Geneviève Lefebvre qui a eu la gentillesse de publier mon billet La crise appréhendée des journaux au Québec, sur celui-ci. Elle pousse même la délicatesse jusqu’à en faire un billet sur son propre blogue Tout le monde veut aller au ciel * . Or donc, voici la discussion :

Marc Desjardins, à 08:18 le 18 février
Je suis d’accord avec vous sur le besoin du changement dans la vision journalistique. J’ai par contre une interrogation et une inquiétude. Je me demande pourquoi, dans toutes les crises évolutives de ce genre, ce sont les patrons qui conservent avantages et profits alors que les travailleurs doivent céder. Ensuite, cette démocratisation de la création de contenu, que nous valorisons tous et toutes, ne risque-t-elle pas d’entraîner, par contre, une forme de dilettantisme dans la diffusion de l’information, un dilettantisme qui risque de faire du tort au sens critique et à la capacité d’analyse?

Michelle Blanc, à 08:24 le 18 février
@Marc, le dilettantisme est là avec les médias trad et le restera avec la convergence. Cependant, à cause des hyperliens externes et de la puissance des commentaires, la merde restera au fond et les pétales de roses flotteront à la surface… Il ne faut pas prendre les lecteurs pour des imbéciles. Ils savent très bien discerner le pertinent du non pertinent (de même que Google) et c’est le pertinent qui sortira gagnant. Il y avait d’ailleurs déjà eu une confrontation de pertinence entre Encyclopedia Britanica et Wikipédia et c’est Wikipedia qui a gagné. Mais cet argument de perte de qualité rassure bien l’égo journalistique blessé…

Marc Desjardins, à 08:33 le 18 février
@Michelle, je suis d’accord pour Wikipedia, qui est un outil encyclopédique, donc enrichi par la force du nombre. Par contre qu’en est-il du journalisme d’enquête, du reportage fouillé et recherché, avec la présentation de points de vue contradictoires, dans un seul vecteur de diffusion? Qu’en est-il, surtout, de la pensée divergente, de celle qui ne suit pas la pensée populaire? Ne risque-t-on pas de voir se propager plus souvent la pensée dominante si on ne se base que sur la force du nombre? Cette pensée dominante est un peu l’envers de notre vision d’un Web ouvert d’esprit. Ce n’est, pour l’instant, qu’un point de réflexion pour moi.

Michelle Blanc, à 08:39 le 18 février
Justement l’écrémage des médias qui sont lus souvent qu’autrement redondants permettra un renouveau de ce journalisme d’enquête, ne serait-ce que pour émerger de la masse. Je ne crois pas que The Economist disparaisse et je prédis que les gens seront prêts à payer pour de l’actualité fouillée. Pour le reste, Reuter, AFP PC et les autres feront leur boulot. C’est justement dans l’opinion éclairée que le journalisme tendra et les plus éclairés seront ceux qui auront la part du gâteau.

Marc Desjardins, à 08:45 le 18 février
Je souhaite que ta vision prévale Michelle… mais c’est celle d’une visionnaire des communications généraliste et une praticienne avancée du Web. La vision journalistique (comme celle des publicitaires d’ailleurs) a plus tendance à se raccrocher aux anciens poncifs, tout en se croyant avant-gardiste. Ayant navigué dans les divers champs, j’en sais quelque chose… Il faudra trouver un moyen de fusionner les forces pour lutter contre l’inertie.

Michelle Blanc, à 08:49 le 18 février
amen

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Commentaires

  1. Genevieve

    Pour ce genre d’échange éclairé, vous êtes les bienvenus n’importe quand!

    Votre hôtesse martini

  2. Jacinthe Tremblay

    Au cours d’un lunch hier avec un ami journaliste, il a eu cette réflexion : «si les journaux papier sont en perte de vitesse, ce n’est pas seulement à cause du WEB mais c’est aussi et beaucoup parce qu’ils ne sont pas bons.» Ceux qui resteront – papier ou électronique, on verra – sont ceux qui pratiquent un journalisme qui dépasse la nouvelle et l’anecdote – comme The Economist ou le média d’enquête en ligne ProPublica -, pour peu qu’ils soient dirigés par des gestionnaires compétents et visionnaires. Je crois que les autres, qui croient que la victoire contre la concurrence consiste à sortir une nouvelle cinq secondes avant les autres, s’évanouiront tôt ou tard, même s’ils ont migré dans le Cyberespace. Cela dit, le modèle d’affaires d’ici du journalisme WEB reste à trouver. ProPublica vit grâce à une injection de capital de 25 millions d’une fondation américaine. Si quelqu’un connaît le riche du Québec prêt à l’imiter, prière de me faire connaître son identité.

  3. Etienne Chabot

    Wow! Cet échange est absolument dé-li-cieux. Michelle, ressors nous-en d’autres n’importe quand!

    Ce qui me frappe dans votre échange, c’est cette supposée dichotomie du côté journalistique traditionnel sur le fait que les blogues, nouveaux médias et autres ne sont pas du “vrai” journalisme. Quand je lis “Par contre qu’en est-il du journalisme d’enquête, du reportage fouillé et recherché, avec la présentation de points de vue contradictoires, dans un seul vecteur de diffusion?” Je ne comprends pas ce qui empêche à un “vrai” journaliste de carrière de faire tout cela mais en utilisant tout simplement un autre medium que le papier?

  4. Vallier Lapierre

    Sur le même sujet, j’ai lu récemment sur le site We un excellent article de Stowe Boyd : Open Social Discourse And Web Culture – http://bit.ly/pMQXD

    Boyd exprime le même point de vue que toi. Il pense que le débat blogueurs/journalistes est un faux débat et que les deux rôles vont fusionner sans que les protagonistes y puissent quoi que ce soit.

  5. jeff mignon

    @ Marc. Je comprends vos inquiétudes. Mais… les journalistes ont un travail de fond à faire : remettre en cause leurs certitudes sur la façon dont ils couvrent l’information et la qualité de ce qu’ils produisent.

    Prenons juste un exemple :
    Où étaient les journalistes pour la couverture de la crise financière qui vient de nous tomber dessus ? Nul part.
    Où sont-ils aujourd’hui pour expliquer cette crise financière et nous donner des alternatives possibles ? Nul part.

    Les journalistes doivent s’interroger sur pourquoi le public est de moins en moins d’accord pour payer l’information qu’ils publient. Trop facile de pointer du doigt les patrons, les blogs, le web, les moyens et je ne sais trop quoi encore.

    Dans un monde où les audiences sont de plus en plus sofistiquées, de plus en plus éduquées, de plus en plus computer savy… les attentes sont de plus en plus élevées. Journalisme included.

  6. JFP

    Excellent échange en effet. Bravo Michelle et Marc.

    Je retient de cet échange ( et je peux me tromper sur la compréhension que j’en ai eue ) que les journalistes ne serait plus de “reporter” d’information dans le sens de ceux qui la rapporte mais l’avenir du journaliste serait celui d’un expert qui interpréterait la nouvelle ou les multiples sources d’informations qui nous serait présenté. C’est intéressant comme analyse. Donc un média en ligne devra être bien plus qu’un simple agrégateur, mais un centre d’analyse de l’actualité. Ca serait intéressant pour un média de bien se positionner comme un centre remplis d’expert en analyse…a suivre

  7. Garamond

    Je crois que les journalistes, en général, sont paresseux ou peureux…
    La confrontation avec le Web, par les blogues ou autrement, les oblige à tenir compte de ce que pensent leurs lecteurs.
    Quand un journaliste se gourre, j’aime bien pouvoir le reprendre immédiatement, pas en écrivant une lettre aux courrier des lecteurs…
    Je pense que ce dialogue journalistes/lecteurs va améliorer la qualité… Mais, si un journaliste écrit toujours ce que lui dicte son employeur, les lecteurs vont lui tomber dessus ! c’est certain !

  8. bruno boutot

    Michelle, tu réussis une fois de plus à être pertinente en tapant dans la fourmilière. 🙂

    J’ajouterais qu’il y a au moins deux malentendus dans cette histoire: d’une part, “journalisme” n’est pas synonyme d'”information” et, d’autre part, les problèmes des journalistes ne sont pas forcément les mêmes que ceux des entreprises de presse.

    Autant je lis des journalistes à la pointe de la curiosité et de l’expérimentation (Jarvis, Rosen, Pisani, Couve, etc.), autant certains professionnels sont aveuglés au point de croire qu’ils incarnent l’information. On n’a jamais été aussi bien informés par autant de sources. Il n’y aucune crise de l’information, il y a surabondance et richesse d’information. Il y a seulement une crise du journalisme dans les grandes entreprises de presse, ce qui n’est pas la même chose. Le public s’intéresse à l’information, pas aux revenus des journalistes. Les journalistes qui vont adopter les nouveaux médias vont prospérer, les autres vont s’effacer dans la brume. Comme tout le monde. Pourquoi devrait-on s’inquiéter davantage de la transformation du métier des journalistes que de celle du métier des ouvriers de l’automobile?

    Par ailleurs, les entreprises de presse ont aussi des problèmes, ou plutôt elles font partie d’un secteur qui a des problèmes: c’est celui du marketing dans son ensemble, de toute la chaîne marketing-publicité-médias. On ne peut pas juste repenser des petits morceaux de médias, comme le font les soit-disant “spécialistes”. Les médias dépendent de la publicité, qui marche mal sur le Web. La publicité vient du marketing, qui ne sait pas trop quoi faire sur le Web. Pour explorer le futur des médias sur le Web, il faut aussi explorer le futur du marketing sur le Web.

    Justement, pendant ce temps beaucoup de gens et d’entreprises utilisent le Web à bon escient pour vendre leurs produits et y font des millions. Il y a aussi pas mal de monde qui les observe, apprends et lance des “start-up”. Mais ça ne semble pas intéresser la majorité des membres du complexe médias-publicité-marketing. Tu as raison d’écrire que la plupart de nos médias (et de nos publicitaires, et de nos vp-marketing) font toujours tellement d’argent que ce qui leur échappe par le Web ne les inquiète pas trop. Pas encore. La seule question est de savoir jusqu’où ils peuvent “trop” attendre.

    De toutes façons, le public gagne et va continuer à y gagner sur le Web: plus de produits, plus de choix, plus de sources, plus d’opinions, plus de sur mesure, plus de diversité, plus de liens, plus de groupes d’affinité, plus d’efficacité, plus de plaisir, plus de précision, plus de profondeur, plus d’horizons. Que les entreprises qui offrent tout cela soient anciennes ou nouvelles est sans importance. J’aimerais que ce soient certains de nos médias, qui ont une si belle histoire, mais on ne peut pas les y obliger… 🙂

  9. Etienne Chabot

    @Bruno, j’ai bien aimé ton dernier commentaire. Merci de cet éclairage différent et fort intéressant sur ce sujet
    passionnant.

  10. Michel Monette

    Je n’ai rien contre les journalistes et j’espère bien qu’un nouveau «modèle d’affaires» va leur permettre de continuer à gagner leur vie en nous informant avec objectivité (ça en prend, de l’objectivité). Le problème, c’est que je suis en général bien trop occupé à m’informer pour avoir le temps de lire les journaux, regarder la télé ou écouter la radio en continu 😉

    Je ne crois pas être le seul à être sorti du cadre rigide des médias traditionnels. L’information ne vient plus à moi, je vais à la recherche de l’information et j’en trouve de la maudite bonne à part ça en dehors des médias trad. La donne est complètement virée à l’envers et avec la révolution iPhone (iPod touch dans mon cas), on n’a rien vu encore. Je fais mon propre programme d’information audio ou vidéo avec podcasts (iTunes) et de lectures avec InstaPaper ou Stanza quand je sais que j’en aurai pour un bout à voyager. Sinon je parcours Feedly dans Firefox où j’ai mis tous les RSS de ce qui m’intéresse et je fouille une question pour ainsi dire de fil en aiguilles. Bref, je ne suis pas un client potentiel payant pour les médias. Je dis cela mais en même temps je soutiendrais volontiers une OSBL de journalistes ouverts à une nouvelle façon de faire leur métier et de nous rejoindre via Internet, où nous deviendrions à la fois des «consommateurs d’information» et des complices. Étonnez-moi !

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