De la perte de pouvoir des intellectuels et de la doxocratie

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Monsieur Jean-Jacques Streliski (le monde est petit, c’est mon voisin encore pour quelques jours, mais on ne se connaît pas), parle de la menace de la doxocratie (mot qui n’est pas dans le Petit Robert (1977) ou Wikipédia, mais dont une définition peut être extraite d’Agoravox*, outil doxocratique par excellence) dans l’article d’opinion Questions d'image – Pouvoirs de sous-sol du journal LeDevoir (via CFD).

C’est vrai que les médias journalistiques traditionnels n’ont plus la cote, que les sondages dopent l’opinion publique, que les politiciens jouent les funambules et que la pensée intellectuelle n’est pas l’épitome de ce qui est à la mode. Mais l’a-t-elle déjà été ?

Il est fréquent d'entendre dire que les intellectuels n'ont plus voix au chapitre et que, par conséquent, leurs influences ne se font plus adéquatement sentir. Pourtant, il fut un temps où l'on enseignait que l'évolution de la pensée passe par la connaissance et la compréhension non empirique de tout ce qui la compose, mais aussi du débat qu'elle suscite entre les intellectuels, les étudiants, les écrivains, les professeurs, les journalistes d'enquête et d'opinion… bref, avec la présence active et visible de tous ces acteurs-clés.

Au Québec, comme partout ailleurs dans le monde occidental, on semble craindre l'élite intellectuelle.

Dieu merci, la qualité de certains blogues, généralement dirigés par des journalistes très compétents, est tout à fait impressionnante. Un monde à l'envers, puisque ceux-là mêmes qui s'exprimaient, il n'y a pas si longtemps encore, sur les ondes publiques ou dans les pages de grands journaux et magazines d'actualités, ont désormais choisi de le faire, dans l'ombre, sur les sujets les plus importants. Et ils le font sérieusement, démocratiquement en ouvrant les colonnes de leurs blogues à des internautes qui y débattent de façon fort savante et articulée.

Les vrais débats d'idées se jouent désormais ailleurs: en sous-sol.

J’ai déjà parlé du paradoxe de la collaboration populaire qui nous offre des merveilles telles que Wikipédia qui est plus justes qu’Encyclopedia Britanica et de la merde telle cette vidéo qui fut numéro un sur GoogleVidéo durant de nombreux mois, a girl caught cheating on the Web. Je me souviens aussi de cet autre cours d’anthropologie (encore) qui présentait le système démocratique d’une tribu africaine (dont je ne me souviens plus du nom) dont le chef était chef, aussi longtemps qu’il était généreux avec sa tribu. Dès l’instant où il n’était pas le plus généreux (économiquement) il perdait sa place au profit de celui dont la générosité était encore plus grande. Appliqué à nos démocraties, ce serait amusant d’observer les candidats aux présidentielles répandre le fric au profit des populaces plutôt qu’à celui des firmes d’images !

Pour revenir à la question de perte de voix des intellectuels, ça me fait songer à cette autre critique que les jeunes sont de plus en plus mal élevés. On retrouve ce genre de discours du temps de Socrate. Plus ça change, plus c’est pareil. De dire qu’une chance qu’il y a des journalistes blogueurs pour sauver l’honneur des gens qui pensent, c’est un peu disons… charrier!

*Doxocratie, une définition

Jacques Julliard, avec pertinence, a parlé de doxocratie à propos du règne des sondages, de la « loi de la rue », des modes médiatiques, des doxa (ces pensées dominantes d’un moment), des snobismes quotidiens engendrés par le « système politico-médiatico-publicitéro-marketing », des élans contradictoires des « zappeurs-consommateurs », (des « zappanthropes » disait Cornélius Castoriadis)

Cette doxocratie peut-elle contribuer à sauver la démocratie d’elle-même ? Non. Parce que cette « démocratie » reste un idéal, un but à atteindre, un idéat, comme disait Spinoza, non une réalité accomplie. Parce que ce qui est contesté, c’est moins la « démocratie proclamée que « l’oligarchie » effective que les institutions (dites « républicaines » mais en fait césaro-maonarchistes) contribuent à perpétuer.

La doxocratie conduit au triomphe des populismes (de droite et de gauche) et de la médiocratie. Qui en a vraiment conscience ? Qui surtout s’en préoccupe, en ces temps où les crises s’additionnent (et se nourrissent mutuellement), économique, sociale, sociétale, politique, culturelle… ? Comment faire pour que cette campagne présidentielle se centre ou se concentre sur cette question-clef ?

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