Les scandales TI aux gouvernements du Québec et du Canada, tentative d’explication

Pin It

Il y a près de 10 ans maintenant, je faisais mon mémoire de maîtrise et celui-ci était publié au CIRANO (Centre Universitaire en Analyse des Organisations) sous forme d’un Rapport Bourgogne LES WEB SERVICES ET LEUR IMPACT SUR LE COMMERCE B2B (PDF), puis j’étais invité au Council on e-business innovation du Conference Board of Canada pour le présenter.

Pour rendre une histoire longue et compliquée accessible à tous, je vous dirai ceci. Les fuck-up TI sont peut-être associés sans doute à du graissage de patte éhonté, mais aussi à une approche d’intégration qui rend les projets impossible à livrer et créent une spirale inflationniste ingérable. Voici donc l’explication.

Supposons que vous vouliez relier entre elle cinq applications d’affaires différentes. Dans un processus d’intégration classique, vous avez besoin du carré du nombre de connexions, en termes de branchement à la nouvelle application commune que vous créerez. Les employés de chacun des départements devront suivre de nombreuses formations pour comprendre comment le nouveau système créé fonctionne. Aussi, si l’une de ses applications change, vous devrez refaire chacune des connexions à cette application et modifiez la majeure partie de votre système et recommencez la formation (qui inclut, il va de soi ce qu’on appelle aussi la gestion du changement). Comme l’univers organisationnel est de facto un univers en changement permanent, la spirale des coûts et des recommencements successifs explose assez rapidement. Dans une approche Web Services, on se fou des applications et on ne touche pas du tout à son intégrité. Tout ce qu’on fait est de se questionner sur les informations ou les processus d’affaires qui ont une valeur à être partagé et grâce à une série de standards permettant l’interopérabilité universelle, on ne développe que des connexions qui ne touchent pas à l’intégrité des applications. En quelques mois et à faibles coûts, on a déjà des applications diverses qui se parlent, les employés n’ont pas besoin d’apprendre de nouvelles applications et une fois un certain nombre d’informations ou de processus d’affaires partagé par tous et évalué en terme de bénéfices directs, on décide quels autres informations ou processus valent la peine d’être intégré. Voilà.

Il y a plusieurs années je mangeais avec un gros VP d’une firme d’intégration à trois lettres et je lui demandais

Mais pourquoi ne faites-vous pas de Web Services aux différentes instances gouvernementales? Vous connaissez les standards, vous savez qu’ils fonctionnent alors pourquoi ne sont-ils pas utilisés?

Il me répondit

Nous sommes en affaire pour faire du fric, pas de l’éducation. Le gouvernement veut de l’intégration, on lui en vend.

Je vous rappelle qu’on a le scandale du Registre Canadien des armes à feu, celui d’inforoute santé Canada, celui de GIRES qui après 500 millions a changé de nom pour devenir SAGIR, celui de dernier rapport du vérificateur général du Québec et relaté dans l’article de Direction Informatique Dossier de santé du Québec : « un échec », conclut le Vérificateur général de même que de nombreux autres scandales de plusieurs centaines de millions de dollars ou même de milliards, et qui ne fonctionnent toujours pas.

On parle de scandale de la construction. Cependant en supposant qu’il y ait malversations dans cette industrie, au moins sur un projet d’autoroute qui coûte 500 millions et dont des entrepreneurs se graissent largement la patte, au bout il y a tout de même une autoroute. En TI, au bout il n’y a strictement rien. Ou plutôt si, il y a de nombreux rapports…

Je vous rappelle aussi que les appels d’offres du gouvernement excluent de facto, les petites organisations de TI qui ont l’habitude de développer des applications et de l’intégration pour des multinationales reconnues mondialement (notamment avec des Web Services ou en développement avec la méthode agile) mais qu’ils ne peuvent jamais travailler pour nos gouvernements parce qu’ils n’ont pas des chiffres d’affaires de plusieurs centaines de millions de dollars, parce qu’ils ne sont pas ISO ou tout simplement parce qu’ils ne font pas parti de la clique très fermée du « Boys club » des décisionnels des TI gouvernementaux.

Voici maintenant un extrait de l’explication plus scientifique(PDF) :

Une autre problématique à laquelle font face les entreprises se tournant vers Internet est le nombre croissant de partenaires potentiels. Cette croissance est souvent liée à une augmentation des coûts liés à l’élaboration et le déploiement des interfaces entre les systèmes d’information de ces partenaires. En particulier, trois défis se posent :

• Distribution des centres de contrôles : Les entreprises peuvent dicter l’utilisation d’une plate-forme homogène à l’intérieur de leurs frontières. Ils peuvent même obliger certains de leurs fournisseurs à s’adapter à cette plateforme s’ils ont une position dominante déterminante. Cependant, lorsque le nombre et la diversité des partenaires augmentent, il devient difficile de maintenir un seul centre de contrôle;

• Diversité des plates-formes technologiques : Sans un centre de contrôle unique, les entreprises se battent continuellement avec la diversité croissante des plates-formes qu’ils ont à brancher. Ces branchements se doivent aussi d’être abordables et réalisables pour les PME qui doivent aussi supporter les coûts de ses branchements;

• L’environnement dynamique : Dans un monde économique en mouvance perpétuelle, les entreprises se doivent d’être capable d’intégrer les nouveaux partenaires à leurs systèmes informatiques et ce, de façon efficace, rapide et économique. Ils doivent aussi avoir la flexibilité d’abandonner certaines alliances d’affaires sans avoir à radier de leurs bilans des dépenses et investissements technologiques.

En réponse à ces défis, les Web Services offrent les solutions suivantes :

• La simplicité : Les Web Services réduisent la complexité des branchements tout en rendant la tâche plus facile aux nouveaux participants. Cela se fait en ne créant la fonctionnalité qu’une seule fois plutôt qu’en obligeants tous les participants à reproduire la fonctionnalité à chacun des bouts (comme avec l’architecture client/serveur);

• Composante logicielle légèrement couplée : L’architecture modulaire des Web Services, combinée au faible couplage des interfaces associées, permet l’utilisation et la réutilisation de services qui peuvent facilement être recombinées à différents autres modules;

• Hétérogénéité : Les Web Services permettent d’ignorer l’hétérogénéité entre les différentes applications et modules. En effet, ils décrivent comment transmettre un message (standardisé) entre deux applications, sans imposant comment construire ce message;

• Ouverture : Les Web Services permettent de réduire les inquiétudes liées aux différents «lock-in» que les entreprises subissent des fournisseurs informatiques. Ils permettent aussi de tirer une valeur économique supplémentaire des infrastructures informatiques existantes et des plates formes ouvertes tel que l’Internet

Imprimez ce billet Imprimez ce billet

Commentaires

  1. Mazzaroth

    Peut-être que s’il y avait quelqu’un de techniquement compétent du côté de l’acheteur et qu’ils avaient le temps de bien comprendre leur problème, il ne se ferait pas avoir avec une intégration en N-carré propriétaire.

    Peut-être que si les projets payés avec des deniers publiques étaient totalement transparents (http://mazzaroth.ca/wp/?p=385) de sorte que nous puissions externaliser de façon ouverte (crowdsourcing) les vérifications, on pourrait dénoncer les anomalies et les gestionnaires seraient obligés à l’excellence et à l’honnêteté.

    Peut-être que si les contrats n’étaient pas formulés en temps et matériel, mais plutôt en coûts fixes, on ne verrait pas des dépassements de coûts de cette ampleur car les soumissionnaires feraient leurs devoirs tout en forçant les acheteurs à faire les leurs.

    Il y a beaucoup d’autres “peut-être”. Je vais m’arrêter ici.

    – Mazz

  2. Adam Sofineti

    Si les coupes budgétaires causées par la crise économique ont apporté quelque chose de bon, ça été une certaine ouverture vers la source libre. Même si elle n’été pas adopté en masse, mais au moins le TI commencent à y réfléchir. Peut-être, les web-service aussi vont connaître plus de succès dans les années qui viennent. Je reste optimiste.

  3. Laurent B Roy

    Merci Michelle, c’est exactement ce que je pensais! En cette époque de JSON/XML avec REST ou même les vieux classiques tel que SOAP/XML-RPC, c’est étonnant de voir à quel point ces concepts semblent si magiques et mystérieux.

    Mais bon, ça doit rendre les appels d’offre basé uniquement sur les prix plus difficile je suppose! Quoi, un appel d’offre qui prend en compte la qualité? OMG ben trop dur!

  4. Suzanne Lavigne

    On savait déjà que ca ne tournait pas rond, autant au provinciale qu’au fédérale. Rien de vraiment nouveau. Un témoignage de plus sur la pile. Après les médias se surprennent des résultats des récentes élections. Non mais n’allez pas croire ce qui s’est dit ces derniers jours dans les médias.
    Le NPD est au pouvoir, non pas parce que la population est carrément tombé sur la tête.
    C’est simplement un gros Fuck You que la population lance à la classe politique.

  5. Les scandales TI aux gouvernements du Québec et du Canada, tentative d’explication | Développement de carrière

    […] Les scandales TI aux gouvernements du Québec et du Canada, tentative d’explication […]

  6. André Nollet

    Je suis un crouton de la vieille génération. Je me rapelle des graphiques d’acheminement que je devais bâtir avant de programmer en Fortran. (Eh oui, je ne sujis pas des plus jeunes) Mais je sais que si la logique n’y était pas, rien ne fonctionnait. Bien que je me destinait à me diplômer en sciences comptables, j’avais fait bande à part, en remplaçant des cours de fiscalité III par des cours d’informatique.

    Si cela m’a servi? Croyez-moi, passablement souvent. La programmation spaghetti, je la reconnais rapidement. Tout fuck à chaque ajout d’un module. Et les explications sont incroyables.

    Surement le plus sage conseil que j’ai reçu depuis des années, lorsque Michelle tu nous a fortement conseillé d’aller en “open source”. Mais honni étions-nous de notre ancien fournisseur, pour ne pas dire plus…

    Le dossier d’informatisation des dossiers médicaux va coûter 1,5 milliard!!! C’est vrai que là, on est dans le domaine de la maladie, ça va de soi. Les chiffres rendent malades. Y a-t-il un pilote dans l’avion? Y a-t-il un avion? Sûrement que la bactérie mangeuse de chair va se rassasier à volonté des bits. Et que kékun, kèkepart va en faire les gorges chaudes. Je lui souhaite juste une maladie nosocomial.

    Depuis quand, ça prend une grosse boîte pour faire un dossier majeur? Bien oui, depuis qu’on paie toujours sans rien dire. Ca doit être relié aux coûts des routes qu’on paye de 30 à 40% plus cher qu’ailleurs.

    Pas possible qu’en 2011, on ne soit pas imaginatif sur les contrats accordés.

    Si nous sommes 7 millions au Québec et qu’on attache notre dossier sur une puce électronique sur notre carte d’assurance-maladie, oups, la carte assurance patient,(eh sois patient) il doit bien y avoir un cristi de fichier central de ces cartes? NON? Trop simple?

    Le médecin ou sa secrétaire rempli le rapport de visite et le transfert se fait au fichier central et ta carte et ta PUCE se mette à jour la prochaine fois que tu la click clik. Hum, est-ce du rocket-science cela?

    Probablement que je suis trop simple pour comprendre les méandres de la patente. Mais je ne suis pas certain. En attendant, on va faire un fichier des erreurs médicales. Tant qu’à faire, aussi bien se prémunir de l’accessoire.

    C’est comme les comm traditionnelles. Les meilleures idées viennent rarement des grosses boîtes. Tout comme les nouveaux concepts d’architectures.

    Je le redis: Le statuquo ne saurait être acceptable, sauf pour ceux qui ne veulent pas que ça change et qui en profite.

  7. Léon Talbot

    Combien coûterait le Dossier santé en web services ou en open source ? Qu’est-ce que cela impliquerait. Concrètement, qu’est-ce qu’il faudrait faire dans ce cas précis où la sécurité de l’info est hyper importante?

  8. A Dumoulin

    Madame, c’est bien beau ce que vous dites, mais ayant à me déplacer régulièrement en Grande-Bretagne pour le travail, je suis en mesure de constater comment le Canada accuse un retard quasi insurmontable en matière d’internet. C’en est presque gênant.

    Ce n’est pas la première fois que j’évoque cette question des tarifs abusif de l’internet au pays. On paye de 2 à 3 fois plus cher notre service que partout ailleurs dans le monde.

    Saviez-vous qu’en France on peut avoir l’internet illimité, le téléphone et le câble pour 40 euros par mois. Ici c’est au minimum 150 dollars par mois. Je ne sais pas ce que ca va prendre pour réveiller la population.

    Un récent rapport de l’OCDE place le Canada en queue de peloton – rapport/qualité/prix/vitesse. Le Canada est l’un des seul pays au monde à ne par permettre un usage illimité.

    Le rapport de l’OCDE révèle que non seulement les Canadiens payent leur facture internet plus cher que dans la plupart des pays mais que le réseau est l’un des plus lent au monde.
    Lorsque les prix et la vitesse sont combinés on découvre que le Canada arrive bon dernier ou presque sur les 30 pays comparables sondés.

    L’offre internet actuelle nécessite vitesse et téléchargement illimité.

    Bell et Videotron sont en marge des grandes tendances mondiales alors que partout les prix baissent et que la norme mondiale en terme de vitesse est de 20 mgb.

    Ce dossier a été l’un des enjeu de la dernière campagne électorale au Canada anglais, mais ici au Québec, pas un mot sur les proposition des partis politiques comme si les Québécois n’étaient pas concernés. C’est pour ca que le NPD a eu mon appui lui qui propose de défendre les intérêts des consommateurs d’abord et avant tout.

    Ici au Canada, on dirait que tous les grands joueurs s’entendent ensemble pour maintenir les prix artificiellement élevés, mettant des bâtons dans les roues des petits fournisseurs qui savent qu’on peut fournir le service à moindre prix, tout en encaissant un profit raisonnable.

    En résumé:

    Les prix sont exorbitants.
    Les taux mensuel Internet au Canada sont parmi les plus élevés dans les pays développés.
    Les vitesses de téléchargement sont misérables comparé aux autres pays.
    Les causes de cette médiocrité: pas de véritable concurrence dans le marché.
    Le matériel nécessaire pour fournir la plupart des fils du câble de fibre services Internet et téléphoniques est détenue par une poignée d’entreprises: Bell, Videotron, Rogers et Telus.
    Ce quasi-monopole permet aux fournisseurs de proposer un produit de troisième ordre.
    Plus de concurrence, il faudrait de nouvelles entreprises, d’énormes investissements, il n’y a pas de signes que ca va se produire.
    La deuxième raison de ce service médiocre et coûteux est un cadre politique incohérent.
    Le CRTC estime que les services Internet devraient être traités comme un service public, comme l’énergie électrique.
    Plus vous l’utilisez, plus vous payez.
    Cela n’a aucun sens.
    Le contenu de l’Internet est gratuit. Les idées, les images et les textes qui circulent sur ce système sont le travail des contributeurs. Ils ne coûtent rien aux entreprises qui fournissent le services.
    Certains observateurs de l’industrie ont fait valoir que les prix élevés sont nécessaires pour protéger contre la sur-utilisation et de la congestion.
    Mais il n’y a guère de signes de congestion, et certainement aucun qui justifierait les primes énormes.

    Concernant la téléphonie portable, la situation n’est guerre mieux.
    Pire, voyez cette enquête de la CBC qui nous apprend que l’on obtient pas ce que l’on a pourtant chèrement payé…
    http://www.cbc.ca/news/canada/story/2011/05/05/f-4g-speedtest.html

    Avec tout le respect que je vous dois. Ne serait-il pas temps que quelqu’un de votre trempe face le point sur cette question cruciale.

    Le Canada est la risée du monde développé. J’ai honte.

  9. Nicolas Poupart

    J’ai fait ma maîtrise en interopérabilité sémantique des bases de données et effectivement, l’approche gouvernementale est pathétique ; une solution de médiation serait tellement supérieure. Je me rappelle de ce Français qui faisait sa maîtrise en même temps que moi sur l’échec du projet Gires ; à la question pourquoi venir faire sa maîtrise sur ce sujet au Québec il me répondit simplement «nous n’avons pas ce genre de problème en France, le génie logiciel est pratiqué par des professionnels qualifiés et imputables».
    Voilà le grand problème de l’informatique au Québec, les professionnels de l’informatique ne sont imputables de rien. Aussi longtemps que l’on ne comprendra pas que faire du logiciel est aussi couteux et possède des implications humaines aussi importantes que dans le cas de l’ingénierie traditionnelle alors nous resterons dans la merde.
    Les ingénieurs logiciels et les informaticiens pratiquant au Québec doivent posséder des actes réservés comme la création de l’architecture logicielle et être tenus professionnellement imputables des dépassement de coût et de l’échec d’un projet. Le signataire d’une étude de faisabilité y penserait par deux fois avant de signer un tel document.

  10. La « pochitude » sites des partis québécois et le manque de vision numérique • Michelle Blanc, M.Sc. commerce électronique. Marketing Internet, consultante, conférencière et auteure

    […] Vous aimerez sans doute lire aussi Le plan nord, le plan nerd et LeWeb Un plan numérique pour le Québec devrait-il faire une place au logiciel libre ? Les scandales TI aux gouvernements du Québec et du Canada, tentative d’explication […]