Marc Desjardins est un bollé qui se sous-estime. Plusieurs fois j’ai repris les commentaires qu’il fait ici dans mon blogue pour en faire des billets. Je suis jalouse de sa pertinence. Alors voici son petit cours d’histoire de la pub, des journaux et des technos au Québec qu’il a fait en commentaire à mon billet Les changements que vivront les agences de pub et le marketing :
J’ai envie de nuancer un peu sur cet argument abondamment répandu du Web qui tue les agences de pub et les journaux. J’ai des doutes sur les relations causales qu’on met en jeu ici.
Oui, les agences de pub se meurent et oui les journaux se meurent aussi et re-oui que le Web prend une place prépondérante dans la vie des gens (quoiqu’il faudrait de temps en temps se questionner sur la foi que nous avons, évangélistes et propagandistes, en l’universalité de la pénétration du Web). Mais ce n’est pas la première ou la dernière fois que ça arrive.
En 1980, alors que je dirigeais une publication en même temps que je faisais de la pub à la pige, on a commencé à annoncer, avec raison, la mort du magazine et le déclin des journaux, à cause de la présence importante de la télévision dans nos vies. C’était encore à l’âge d’or des Baby Boomers. Effectivement, de nombreuses publications sont mortes de leur belle mort et l’hécatombe a continué. Ont survécu les gens qui avaient compris l’émergence des marchés de niche (intérêts spécifiques ou marchés de luxe) et qui ont publié en conséquence. Oui oui… les marchés de niche, bien avant la théorie du long tail. En parallèle, d’autres éditeurs se sont lancés soit dans la gratuité, supportée par la vente publicitaire, ou encore dans la publication plus «human interest» et potineuse… Ça aussi, ça a marché. Pour les journaux qui mouraient, on n’a qu’à se rappeler du Jour, de Montréal-Matin ou de La Patrie juste pour la région métropolitaine… Il y en a eu des centaines aux USA. On parlait de crise majeure déjà.
En parallèle, les agences de pub qui n’étaient jusque là que des officines locales de Madison Avenue ou de Toronto et quelques rares joueurs autonomes, se sont développées à une vitesse fulgurante. La croissance du marché télévisuel y était pour beaucoup… ils pouvaient faire beaucoup de sous avec leur 15% de commission et une pratique démesurément friquée s’est développée. Il se passait la même chose partout dans le monde avec la régionalisation des marchés. Les agences locales comme les officines localisées se sont répandues comme des moisissures sur du pain rassis. Et on a fragmenté les spécialités, RP, marketing direct, promotion au point de vente… etc. Il était inévitable que le bateau allait un jour couler de par sa surcharge. Mais ça allait avec l’époque des junkbonds et de l’émergence d’un marché financier boursier plutôt que bancaire.
Et puis, à partir de 1990, la régionalisation a tellement pris d’ampleur que la tendance s’est renversée… Le marché des journaux a repris une place importante avec les publications régionales, les annonces classées et la presse gratuite. Les agences ont freaké, parce qu’avec leurs grosses structures financées par le 15% du temps média télé et radio, elles ne savaient pas comment faire de l’argent avec de la publicité régionale peu coûteuse. Beaucoup d’agences ont mordu la poussière, les plus grosses ont joué la carte du prestige. D’autres se sont retournées vers la manne des comptes gouvernementaux. C’était une crise importante. Ceux qui y ont survécu peuvent en parler. C’est à ce moment qu’on a vu naître les boîtes de création qui faisaient payer directement pour leurs services et, souvent, n’avaient même plus de services média. C’est aussi à ce moment qu’on a vu proliférer les services secondaires, non publicitaires, de marketing et de communications. Et tout ce beau monde ne se parlait pas, se bitchait à qui mieux-mieux et n’arrivait pas à fusionner les éléments de la chaine.
Puis, est arrivé la télé spécialisée… et la fragmentation inattendue de ces auditoires-là. Encore une fois, on entendit le cri de tout le monde aux abris et les essais de repêcher cet auditoires qui, au départ, ne généraient pas beaucoup de revenus. On a vu des disproportions dans les budgets demandés, du délire et en plus, on a commencé à entendre le discours prônant de devenir tous des «communicateurs» plutôt que des publicitaires, des gens de marketing ou des relationnistes. Mais d’autres agences souffraient et il y a eu beaucoup de dépôts de bilan.
Évidemment, tout le monde s’est mis à parler d’Internet comme de la prochaine voie. Tout le monde. Évidemment, les publicitaires, comme les clients et les entrepreneurs, ont vu le Web comme une immense vitrine pour ce qu’ils avaient à vendre. C’est complètement légitime puisque c’est comme ça que la chaîne commerciale capitaliste a toujours fonctionné. On pousse le message, on pousse la vente, on séduit et, si on a bien poussé, on encaisse. C’était un médium de diffusion de plus, et le public le voyait aussi comme ça.
Et puis, il s’est passé quelque chose de tout à fait inattendu. On s’est rendu compte qu’Internet, ça marchait dans les deux sens! On pouvait réaliser le fantasme du téléspectateur qui gueulait, dans les débuts de la télé, contre les acteurs qu’il détestait. Mais, cette fois, on pouvait l’entendre de l’autre côté de l’écran. On a commencé par faire des wet dreams de CRM, de Consumer Relationship Marketing… d’encore pousser un produit au consommateur, mais un par un, de le chatouiller directement et personnellement dans sa chambre à coucher.
Malheureusement pour les pousseux, la masse de l’autre côté de l’écran était beaucoup plus grosse que les agences. Et elle parlait vraiment fort. On pouvait faire comme les Gouvernements et les grands financiers, s’asseoir sur son pouvoir et ne pas écouter ou on pouvait tendre l’oreille. Mais tendre l’oreille et donner la parole, c’est vraiment un changement socio-politique qui demande la foi plus que le sens des affaires.
Internet a démocratisé l’accès à l’information et à sa diffusion. Mais, au fond, il peut être utilisé de la manière qu’on le veut bien. Il y aura toujours des tas de gens qui voudront voir des belles images, des beaux vidéos mais qui n’auront pas envie d’intervenir. Par contre, ceux et celles qui veulent intervenir peuvent le faire.
Mais, ce qui est particulier, c’est qu’Internet est devenu un canal de gratuité démesuré. Tous les intangibles, comme l’information, la connaissance, la découverte, que des entrepreneurs pouvaient vendre autrefois, sont disponibles gratuitement. Ça aussi, ça change la transaction sérieusement. Ce n’est pas une révolution médiatique, c’est une révolution sociale.
Les journaux ont une solution de survie. Ils doivent trouver le moyen de conserver leur influence et leur pertinence en se diffusant en ligne plutôt que sur le papier. Ils ont les moyens, les compétences et l’expertise pour le faire. Cette influence, cette capacité à se faire entendre et à être crédible, il sera relativement simple de trouver le moyen de la vendre aux annonceurs et d’en redéfinir de nouveaux modes de financement. Ce ne sera pas simple, mais c’est faisable. En passant, la majeure partie du revenu publicitaire des journaux et magazines n’est pas la vente de copies mais dans les revenus publicitaires et collatéraux.
Par contre, pour les publicitaire, le recyclage est presque impensable. Comment voulez-vous qu’ils deviennent crédibles et influents alors qu’ils ont passé leur vie à vendre de l’air chaud, de l’hyperbole et de la manipulation? Pourquoi un internaute se raccrocherait à la proposition publicitaire alors qu’il peut connaître les multiples vérités qui se rattachent à un service ou à un produit? C’est impossible.
C’est pourquoi je ne crois pas que les publicitaires pourront se recycler en praticiens du Web efficaces, ça demanderait qu’ils renient tout ce qu’ils ont appris, tout ce qu’il savent faire.
La nouvelle race des communicateurs Web est en train de naître, elle est fondamentalement différente, elle est un peu rebelle, elle sait écouter et dire, découvrir et partager. En plus, elle y prend plaisir, elle a des convictions et des principes. Elle devra faire comprendre au client qu’elle ne peut plus VENDRE son produit. Elle peut accroître sa notoriété en l’associant à des initiatives qui, intrinsèquement, attireront les Internautes mais qui seront indépendantes du produit. On devra contextualiser ce qu’il y a à vendre et permettre à l’auditoire de se faire une idée propre.
Malheureusement, le dialogue personnalisé, l’écoute profonde, c’est très peu rentable pour les produits de consommation de masse. Les coûts reliés à une opération de ce genre deviennent astronomiques avec la croissance d’un auditoire puisqu’il n’y a pas d’économie d’échelle à faire comme pour un message publicitaire qui voit ses coûts baisser en le divisant par ses millions d’auditeurs. La réalité de la rentabilité de nos processus n’est pas encore assez évaluée. Oh, les petites initiatives, les organisations plus sociales profitent de la personnalisation du dialogue. Mais comment voulez-vous que Coca-Cola parle individuellement à chacun de ses millions de consommateurs? Déjà, beaucoup d’initiatives Web 2,0 ont été requestionnées par les clients qui y ont investi des sommes gigantesques qui ne se reflètent pas dans les revenus.
C’est une réflexion qu’on doit faire urgemment si on veut que nos pratiques ne restent pas cantonnées aux niches où nous avons du succès. Évidemment, ça n’arrivera pas demain, mais inévitablement, et surtout en période de crise économique, ça finira par arriver.
Et, parallèlement, je crois que les agences publicitaires sont là pour rester. Il y en aura moins, elles se cantonneront aux plus gros comptes, aux campagnes qui peuvent encore avoir de l’efficacité dans les médias de masse. On finira juste par accepter qu’un publicitaire n’est pas un créateur Web et vice-versa… et on acceptera aussi qu’un blogueur n’est pas un journaliste et qu’un journaliste n’est pas un blogueur… et nous naviguerons professionnellement sur nos planètes parallèles…
Merci pour la lecon d’histoire
Je comprend mieux ou je me trouve du coup
Michelle tu as raison de nous faire lire son texte. Il nous informe bien et dirige le tire dans la bonne direction.
Des mondes parallèles comme le confirment mes expériences passées.
Merci
@Marc Desjardins,
Wow et re-wow! Quelle justesse et fluidité dans ton propos. Ca me manque un discours aussi cohérent et pertinent, juste assez alarmiste mais pas trop.
Mets ton blogue en ligne pis ca presse! Je veux pouvoir te lire sur TA tribune et pas juste en réaction à celle des autres.
Michelle, tu as snas doute raison de décrire Marc desjardins comme « un bollé qui se sous-estime ». Heureuement qu’il y a des gens comme toi, qu’on pourrait qualifier en quelque sorte d' »aggrégateurs d’opinions éclairées »… je le range parmi mes textes de référence…
Cool de retrouver l’ami Marc chez toi. Vous vous entendez comme larrons en foire tous les deux! C’est beau de vous voir aller…
@ Marc : J’aime beaucoup te lire, surtout dans tes échanges avec Michelle : votre confrontation crée des résultats forts intéressants 🙂
J’ai beaucoup apprécié la majeure partie de ce texte très bien structuré et clair, et j’ai envie d’en savoir plus. Toutefois, j’ai eu quelques réserves en lisant certains passages et j’aimerai te faire part de mes impressions. Peut-être que je me trompe, mais j’ai l’impression que tu sous-entends en parti que le web peut contrer la manipulation au niveau de la vente de produit, et je ne suis pas d’accord. Au contraire, on peut s’adapter et développer des stratagèmes encore plus poussés d’illusion et de manipulation, étant donné justement que les gens sont plus proche du communicateurs et plus aptes à vérifier ce qu’on leur dit. On peut notamment jouer sur l’idendité des gens, les pousser à s’intégrer à l’image qu’on veut donner au produit en essayant de la jouer grassroth.
Je m’explique : on joue ici sur l’image, l’image d’un produit, ce qu’il signifie socialement. Et cette image, sa propagation, j’ai l’impression qu’elle passe par une forme de manipulation dans la communication et ce, peu importe le médium. Oui c’est plus facile de lire des commentaires pertinents sur si ce produit est oui ou non fonctionnel et si il existe mieux, mais je pense que l’image joue également sur d’autres registres, dont l’identité du client à travers le produit et ici on joue sur l’instinct de groupe.
La beauté de la chose avec le web, c’est que ça peut permettre de voir quel type de réseau/groupe sur le net achète quel type de produit, et produire des analyses comportementales plus poussées et mieux adapter le produit aux groupes faisant partis du public-cible. On peut faire des ajustements en fonction de l’image du produit en intégrant individuellement le client dans la propagation de la vente et l’intéraction se joue donc aussi à ce niveau, en plus du dialogue, car le client peut s’identifier à l’image du produit, se l’approprier et diffuser dans ses réseaux sur le web.
On vit dans un système capitaliste qui influence, voir détermine l’utilisation qu’on fait de ce médium qu’est internet, et à mon avis on n’est pas sorti du bois de la manipulation. L’agence de pub a certain shèmes de manipulation, et les vendeurs du web peuvent les adapter à leur besoin et convenance. Mes réflexions sont toutefois encore en construction sur ce sujet…
Tout simplement magistral. Brillant.
Impressionant! Quel beau texte haut en couleurs et si pertinent! Vraiment génial!
J’ai vécu une partie de cette histoire comme observateur de loin, parfois de plus près et je m’incline… Un excellent résumé qui a la qualité d’être divertissant.
De la manière que Marc manie les mots, à t’il écrit bouquin? Réalité ou fiction, j’achète. Sinon, j’attendrai.
Ça ne m’arrive pas souvent, mais là, je suis soufflé par la démonstration et l’argumentation. Lumineux! Merci.