Avant-hier il faisait beau. Nous étions prêtes pour la quarantaine. Les achats de bouffe pour deux semaines étaient faits, les provisions rangées, nous étions dans l’attente d’aller chercher petit-fils pour qu’il passe la semaine avec nous. Mon amour me dit, pourquoi n’irions-nous pas dehors? Il fait si beau!. J’étais bien d’accord avec elle. Je me disais que j’irais préparer le terrain pour qu’on puisse installer les chevilles et les sceaux après les érables pour en faire du sirop avec petit-fils. Je voulais aussi régler quelques trucs dans le cabanon et déglacer un peu l’entrée de garage et le chemin qui est une vraie patinoire.
Je me disais que je serais prudente. C’est que la semaine dernière, j’ai appris avoir déjà fait un infarctus et que ce n’est vraiment pas le temps de tomber malade, disons. Avant de me faire opérer pour l’ablation de mon rein au printemps dernier, j’avais passé un électrocardiogramme. Il semble qu’il n’était pas commun. Le cardiologue qui l’inspecta me dit que ce n’était pas très grave et que je pouvais me faire opérer. C’était peut-être juste que mon cœur ne bat pas avec la même régularité que tous. Mais bon, ce ne serait sans doute pas la seule « spécificité bizarre » que j’aurais de la moyenne des gens et c’était peut-être mon rein défaillant qui affectait mon cœur. Il me prescrit donc quelques pilules et voulait me revoir cet automne. L’automne venu, il me dit qu’une investigation plus poussée de mon cœur était nécessaire. Ce n’était pas l’urgence nationale et ne nécessitait pas une investigation invasive. Il irait donc par étape et on ne commencerait que par une échographie cardiaque. C’est la semaine dernière que cette procédure se fit.
Mon cardiologue est un homme qui semble vraiment très compétent. Mais il a la particularité d’être chinois. Lorsqu’il vient regarder la centaine de photos, de vidéos et d’audio de mon cœur, il me parlait alors que j’étais allongée à côté de lui sur la civière. Il commentait en direct, la revue qu’il faisait des pièces qu’avait prises la technicienne en radiologie. Nous étions à moins d’un mètre l’un de l’autre. Je ne pouvais m’empêcher de penser « A-t-il de la famille qui est revenue de Chine? Y est-il lui-même allé durant les vacances? Habite-t-il un quartier Chinois? ». Puis je me disais voyons donc Michelle! C’est un professionnel de haut niveau. Il connaît les risques et les dangers. Jamais il ne mettrait la vie de ses patients et collègues en péril. Tu penses n’importe quoi. Je me jugeais.
Puis il me dit : vous avez déjà fait un infarctus? Ça fait un certain temps. Vous en souvenez-vous? J’étais stupéfaite. Je ne me souviens de rien. Peut-être l’ai-je fait en dormant?
Quoi qu’il en soit, nous devons investiguer davantage. Je vais vous faire passer une angiographie. On passe une caméra dans votre bras puis on va jusqu’au cœur voir les artères. Mon père a eu un pacemaker et plusieurs pontages. Croyez-vous que c’est héréditaire? Je ne sais pas, qu’il me dit. Vous devrez prendre des prises de sang au plus vite et je fais avancer votre rendez-vous. Je veux vous revoir d’ici deux semaines.
La semaine précédente, voyant venir la pandémie possible et voulant être prête pour l’inévitable quarantaine que j’appréhendais et pour que mon amour puisse terminer ses derniers achats pour notre voyage au Mexique que nous devions faire vendredi dernier, nous sommes allés magasiner au Carrefour Laval puis nous irions souper au P. F. Chang avec la belle-mère de mon amour. Vers la fin de l’après-midi, épuisée de toutes ces courses, je décidai de me prendre un café froid au Starbuck, en attendant que mon amour termine ses derniers achats. Je me suis pris une chaise et je sirotais mon café froid en l’attendant. Entre deux coups d’œil sur mon iPhone, je remarquais que bientôt, tous les gens qui m’entouraient, étaient d’origines nord-africaines, y avait-il des Iraniens parmi eux? Je ne savais pas. Mais je me posai sérieusement la question. Suis-je en train de m’exposer à ce virus potentiel qui est en train de faire le tour du monde?
Puis nous avons soupé au P.F Chang et je me disais, ce ne sont très probablement pas des Chinois qui sont aux cuisines. Et s’il y en a, ils sont certainement assez consciencieux pour ne pas venir travailler s’ils sont malades. Calme toi donc Michelle et lâche la paranoïa, que je me dis. En outre, ce sera peut-être le dernier souper avec Louise avant notre voyage et probablement plusieurs semaines après notre retour. Jouis de ce moment privilégié avec elle et relaxe-toi.
Avance rapide à samedi dernier. J’ouvre la porte du garage et il y a plein de boîtes de carton que je dois défaire pour aller déposer à mon bac de récupération qui est dans mon chemin. Je prends donc mon « cutter » et j’avance tranquillement avec les boîtes pour les défaire près du bac. Mais en me rendant au bac, je réalise à quel point le chemin est glissant et dangereux. Je marche en pingouin pour être certaine de ne pas tomber. Une fois au bac je me dis que ça n’a vraiment pas d’allure. Je vais revenir au garage chercher la poche de sel pour saler cette patinoire. Arriver au garage, les deux pieds me partent d’un seul coup. Je tombe de mes six pieds deux pouces et de tout mon poids sur mon omoplate gauche. J’ai le souffle coupé. Mais vraiment coupé. Je ne respire plus. Je cherche mon air, mais je n’y arrive pas. Le temps passe. Ça doit faire maintenant les trente secondes les plus longues de ma vie. Puis je me dis, si je reste sur le dos je vais crever. Je prends toutes mes forces pour me tourner sur le côté, puis miracle, je recommence à respirer. Je n’oublierai jamais ces instants. Je tente de crier à mon amour qui est toujours à l’intérieur, mais de toute évidence, elle ne m’entend pas. Je songe à lui téléphoner et lorsque la première sonnerie se fait entendre, il s’adonne qu’elle sort de la maison. Elle est stupéfaite de me voir de tout mon long allongée sur le chemin et accourt vers moi. Elle m’aide à me relever et péniblement j’entre par le garage. Je lui demande d’appeler l’ambulance.
J’ai de toute évidence une ou quelques côtes de casser et peut-être même le poumon gauche d’affaisser. J’arrive à l’hôpital de Joliette qui est sur le branle-bas de combat. Des gardes de sécurité partout et personnes à l’urgence. C’est tout dire. On met mon lit d’hôpital dans un cubicule de deux lits. Une heure plus tard, on vient y placer un homme d’un certain âge, avec de l’oxygène. Il tousse à l’occasion. Pour venir le voir, le médecin se met gants et masques. Je ne sais pas vraiment ce dont ils discutent. Une demi-heure plus tard, ils déplacent son lit à deux cubicules de moi et y ajoutent un autre homme qui lui aussi est sous oxygène. Les infirmières qui s’occupent d’eux mettent des masques et des gants chaque fois. C’est lorsque le même médecin est finalement venu me voir sans masques et sans gant que ça m’a frappé. Et si ces hommes avaient le coronavirus? Et moi qui a passé près de deux heures à côté d’eux sans masques. Quels étaient leurs diagnostics? Étais-je en danger? Le suis-je toujours? Ai-je contracté la fameuse calamité? Suis-je en train d’infecter à mon tour ma chérie et petit-fils?
Ça fait deux soirs que je dors assise dans le salon parce que ma côte cassée est vraiment trop douloureuse pour dormir couché. Ce soir j’ai tenté de dormir couchée, mais je me lève pour écrire ce billet. C’est que j’ai une douleur au cou. Je ne sais pas si c’est à force d’avoir dormi assise ou si c’est lors de ma chute ou pire encore, si c’est l’un de mes ganglions qui lutte contre un hypothétique virus. Je tousse à l’occasion et étant donné ma côte cassée, c’est particulièrement pénible. Et il arrive qu’en toussant, j’aie une déjection qui me remonte dans la gorge. Je vais lire les symptômes du Coronavirus et non je ne fais pas de fièvre et je n’ai pas de difficulté à respirer. Mais je commence à avoir peur. En fait je dis toujours que je n’ai pas peur de la mort. Que je suis prête. Que j’ai plutôt peur de souffrir et que je suis moumoune. Mais ce soir j’ai peur oui de souffrir, d’avoir attrapé ou d’attraper cette saleté en allant passer cette angiographie prochaine et j’ai surtout peur de donner cette merde à mes amours. Mais bon, je n’ai pas les « symptômes officiels ». Mais j’ai des circonstances atténuantes, disons et surtout, j’ai maintenant la chienne. J’ai entrevu la mort en tombant et j’ai peur de la revoir en me relevant…
Merci Michelle,
A la lecture de ton récit, j’avais l’impression d’être la, de le vivre avec toi, de te tenir la main pendant que tu étais étendu dans ton entrée.
Ce que tu nous (tu vois, je viens d’effacer un mot : ME, comme quoi j’avais l’impression que tu me parlais héhé) as raconté à l’hôpital de Joliette,je n’en suis pas surprise, j’ai une amie qui y travaille et parait que c’était un vrai bordel dans les débuts de la crise….(ca ne veut pas dire de retomber pour aller voir si tout est en ordre)
Prends soin de toi hein….
Tout n’est pas rose pour vous mais je vous souhaite le meilleur et que tout ce que vous pouvez anticiper n’arrive pas. Je fais partie des sujets les plus à risque et j’essaie de faire confiance, je n’ai pas le choix.
Je peux comprendre ta douleur, et ta peur. Il y a deux ans de cela, je me suis barré les pieds dans une racine et je me suis planté d’aplomb. Souffle coupé raide. J’avais ma scie à chaîne allumée dans les mains et je me suis étendu sur le flanc, la scie en premier, mon coude par-dessus et mes pauvres côtes par-dessus. L’idée de mourir là en sans-dessin m’est apparue évidente le temps de recommencer à respirer à nouveau. Je suis resté là immobile un long moment de peur que le thorax me lâche en me relevant. Je n’ai pas peur de la mort mais l’idée d’une mort stupide m’effraie au plus haut point. Pour ce qui est de ce foutu virus, avec le temps et les perspectives inquiétantes, l’imagination en ébullition et les fantasmes apocalyptiques,on peut toujours se demander si on ne serait pas mieux d’y passer que d’en survivre. Bonne journée.
Et bien…. ! Bon rétablissement Michelle. Et vivement de te revoir autour de tables rondes, avec une bonne bouteille pour arroser la fin de toutes ces mésaventures !