Xavier Dolan, les trois fins de Laurence anyways

Comme bien de l’eau est passée sous les ponts depuis la sortie de Laurence anyways et en lisant ce matin le papier de Marc Cassivi Réécrire l’histoire, qui parle (dans un autre contexte) de la responsabilité des cinéastes, j’ai le goût de vous raconter une anecdote sur la «responsabilité sociale » de Xavier Dolan pour son film La Laurence anyways.

Bien avant le tournage de son film, Xavier Dolan me rencontra à quelques reprises pour discuter de son scénario. Comme je l’ai écrit dans mon billet Xavier Dolan, son film et ma rencontre avec ce génie, j’ai été subjuguée par lui.

Xavier Dolan est sans doute l’une des dix personnes les plus impressionnantes qu’il m’a été donné de rencontrer de ma vie. Sa vivacité d’esprit, sa culture, son charme bon-enfant, sa curiosité, son engagement et sa présence m’ont soufflée. Il est rare de rencontrer quelqu’un de si « intense » (dans le bon sens du terme) dans une vie. J’ai eu cette chance à quelques reprises.

La première fin
Mais pour en revenir au film, nous discutions de divers éléments de son scénario (que je n’ai jamais lu) afin que Xavier puisse valider certains détails de sa fiction par rapport « à la vraie vie ». Puis je lui pose la question de la fin du film. Son personnage devait se suicider. Je lui fit valoir qu’il avait une responsabilité sociale « même avec une œuvre de fiction » et que bien des gens aux prises avec les enjeux de transsexualité passent à l’acte et se suicident réellement. Son film en offrant une fin si abrupte, pourrait peut-être devenir l’étincelle fatale de certaines personnes désespérées. Je comprenais par contre son désir de faire un film « sur l’amour impossible » (quoique ce n’est pas si impossible que ça puisque je suis moi-même toujours en couple avec ma bien-aimée), que ce n’était que de la fiction et qu’il avait la liberté artistique de faire ce qu’il voulait. Mais il me semblait que l’image pouvait être dévastatrice pour plusieurs personnes qui pourraient le voir dans un moment de grande détresse. J’ai moi-même connu cette détresse et suis passée très près de commettre l’irréparable.

La deuxième fin
Lors d’une rencontre subséquente, il me raconta la fin modifiée qu’il voulait faire. On verrait son personnage désespéré et assis sur le bord de la fenêtre. Il y aurait un long travelling de la fenêtre jusqu’au lavabo de la chambre puis on verrait de nombreux papillons sortir de celui-ci. Un peu avant la fin, on verrait son personnage au désespoir pousser un cri dans la rue et on verrait de nombreux papillons sortir de sa bouche. Ainsi, dans cette nouvelle fin, le spectateur pourrait se poser la question à savoir ce qu’il adviendrait de Laurence. Dans la tête de Xavier il était clair qu’il sautait par la fenêtre, mais pour le spectateur, il y aurait un doute qu’il serait libre de combler comme bon lui semble. J’étais toujours en désaccord avec cette fin, mais je trouvais que c’était déjà beaucoup mieux. En outre, je n’étais qu’une consultante très accessoire, il était l’auteur et il serait celui qui aurait à vivre avec les répercussions morales de son film.

La troisième fin
Par respect pour ceux qui n’ont pas encore vu le film, je ne dévoilerai pas le punch. Pour les autres, vous savez que la fin n’est vraiment pas en rapport avec ce que je viens de vous raconter. Xavier Dolan a donc eu la sagesse d’éviter l’indicible drame, les papillons sont toujours là (le papillon étant le symbole du changement par excellence) et vous savez maintenant que monsieur Dolan a une créativité et une responsabilité sociale encore plus grande que ce que vous n’imaginiez. Ça ne l’empêche pas d’être à mon avis excessif dans certaines prises de position (comme l’épisode de carré rouge sur la croisette à Canne) mais ses excès (ce qui vient aussi avec la jeunesse) il les assume pleinement.

Xavier Dolan, son film et ma rencontre avec ce génie

J’ai eu l’insigne honneur d’agir comme consultante auprès de Xavier Dolan pour la création de son dernier film Laurence Anyways. Il avait complété lui-même son scénario et il voulait valider certains éléments de celui-ci. Il voulait confronter « à la réalité » certains passages qu’il avait imaginé.

Xavier Dolan est sans doute l’une des dix personnes les plus impressionnantes qu’il m’a été donné de rencontrer de ma vie. Sa vivacité d’esprit, sa culture, son charme bon-enfant, sa curiosité, son engagement et sa présence m’ont soufflée. Il est rare de rencontrer quelqu’un de si « intense » (dans le bon sens du terme) dans une vie. J’ai eu cette chance à quelques reprises. Nous nous sommes rencontrés à mon café fétiche, le Laika, pour discuter de ma vie, qui a quelques similitudes avec le personnage principal de son œuvre. Ces similitudes sont que j’ai changé de sexe et que je vis toujours (depuis 18 ans en fait) avec l’amour de ma vie. Mais là s’arrêtent les similitudes. Son personnage n’a pratiquement rien d’autre à voir avec mon histoire qui sera d’ailleurs publiée cet automne, sous la plume de Jacques Lanctôt et dont le titre sera « Un genre à part ». Son personnage, son œuvre, son scénario sont complètement issus de son imagination.

Nous nous sommes « obstinés » pour un élément précis de son scénario. Il me disait « mon film est une œuvre fictive, les gens vont comprendre que ce n’est pas la réalité ». Je lui répondis que malgré ce fait, qu’il avait une responsabilité sociale et qu’il devait absolument changer cet élément. Il acquiesça à ma demande et me raconta ce qu’il ferait à la place. Finalement, lorsque j’ai vu le film, cette scène particulière avait encore changé. C’est dire la créativité de ce jeune homme, son ouverture et le fait que son scénario n’est apparemment jamais coulé dans le béton.

Ce que je pense de Laurence Anyways

Je ne suis pas une critique de cinéma et je vais donc me retenir de le critiquer précisément. Je vous dirai cependant que si vous aimez Fellini, vous adorerez probablement son film. Par contre si vous avez de la misère avec les scènes lyriques et symboliques, vous y trouverez peut-être certaines longueurs. La scène d’ouverture m’a particulièrement troublée. C’est que ces regards je les connais que trop. J’avais de la misère à retenir mon émotion. Je vous dirai aussi que Xavier n’est pas tombé dans la caricature transsexuelle facile. Il a traité ce sujet difficile avec beaucoup de respect pour les gens (et leurs conjoints) qui vivent cette situation complexe qui est de changer de sexe et de vivre un amour intense en même temps. Je vous dirai aussi que j’ai très hâte de voir les films de Xavier, lorsqu’il aura 40 ans. Être un génie précoce est déjà une bénédiction. Elle n’est cependant pas encore le gage d’une vie remplie de ces émotions, contradictions et expériences qui font la richesse de la subtile compréhension de drames qui dépassent l’entendement. Finalement, le gros problème que j’avais avec le film de Xavier est que son personnage principal avait toujours l’air d’un homme aux cheveux longs, après son hormonothérapie. Il me semble qu’au niveau des maquillages effets spéciaux, il aurait pu avoir l’air encore plus transgenre, disons…