Comment tuer l’offre infonuagique québécoise en donnant nos données en pâture au gouvernement américain?
Le gouvernement pourrait privilégier les fournisseurs d’infonuagique à propriété québécoise, ce qui en garantirait la protection de la souveraineté numérique de nos données. Mais malheureusement, il semble préférer prendre le risque d’offrir nos données au gouvernement américain. Il s’agit de l’Appel d’intérêt numéro : AI-7784 : Mise en place d’offres infonuagiques – Solutions d’infrastructure-service, de plateforme-service et solutions de logiciel-service reliées et de ces annexes et addendas. Comme vous le verrez, le diable est dans les détails et ces détails quelquefois, concourent à favoriser celui-ci…
Explication
Vous le savez peut-être, le gouvernement du Québec a décidé de migrer les données du gouvernement vers l’infonuagique, communément appelé le nuage (ou le cloud). Le but de l’opération est d’économiser l’argent des contribuables et de centraliser les données afin d’augmenter l’efficacité des ministères. Ce qui est tout à fait louable et maintenant rendu nécessaire étant donné la multiplication des centres serveurs, et des technologies différentes et désuètes, qui requièrent des expertises de plus en plus diversifiées et difficiles à maintenir. Dans un reportage de TVA, nous apprenons que les données des Québécois sont à risque :
Les données de Québécois stockées dans les multiples centres de traitement sont vulnérables aux attaques informatiques, affirme le ministre délégué à la Transformation numérique, Éric Caire.
«La situation actuelle du Québec est à risque», a admis le ministre, lundi matin, en ouverture de la Semaine NumériQc, qui a lieu au Terminal de croisière, à Québec. «Il y a des brèches de sécurité».
Le Conseil du trésor a annoncé récemment son désir de placer au moins 80% des données des Québécois dans un système infonuagique appartenant à des entreprises privées comme IBM, Amazon et Microsoft. Les autres données, celles considérées comme les plus sensibles, seront protégées dans un nuage gouvernemental.
Ainsi, le gouvernement va éliminer les 457 centres de traitement informatique où sont hébergées nos données et n’en garder que deux principaux.
Pour enrayer ce problème de multiplicité des technologies et des centres de données, le gouvernement pourrait décider de développer son propre nuage, s’associer au Nuage Fédéral du Canada (comme certaines provinces le font) ou sous-contracter à l’entreprise privée l’hébergement dans le nuage de nos données. C’est cette dernière solution que le gouvernement a adoptée en faisant une demande d’appel d’intérêt en ce sens.
Le gouvernement pourrait privilégier l’offre des entreprises d’infonuagique québécoises, ou ouvrir son offre de service aux revendeurs d’infonuagique d’entreprises américaines ou à ces entreprises américaines elles-mêmes. Il semble qu’encore une fois, ce soit les entreprises américaines qui soient privilégiées.
Comment le gouvernement écarte-t-il les entreprises québécoises?
La rédaction d’appel d’intérêt est un outil permettant d’acquérir des services ou des technologies désirées par une organisation gouvernementale. Or, la rédaction d’un avis et les spécificités qui y sont exigées (à tort ou à raison) peuvent de facto, exclure des fournisseurs potentiels qui pourraient vendre ces produits et services. C’est exactement ce qui se passe avec l’appel d’intérêt d’infonuagique du gouvernement. On exige des spécifications techniques et de sécurité qui dépassent les capacités des entreprises québécoises à remplir et qui ne peuvent l’être dans les faits, que par des multinationales américaines à la Amazon, IBM ou Microsoft. On ne parle pas ici d’exigences minimales de sécurité, mais bien d’exigences maximales. Les fonctionnaires semblent s’être passé le mot pour tout faire en leur possible pour disqualifier notre offre locale avant même qu’elle puisse soumissionner… En voici quelques exemples tirés de l’addenda No6.
1. 1. Question L’exigence de 5000 serveurs virtuels et un minimum de 7 Péta octets (Po) de stockage nous apparaît comme une exigence ne pouvant être rencontrée que par 2 ou 3 fournisseurs. Afin de permettre à un plus grand nombre de fournisseurs de se qualifier et ainsi favoriser la compétition, est-ce que ces quantités de serveurs et de stockage peuvent être moindre ?
Réponse L’exigence est maintenue. Le Courtier veut qualifier des infrastructures dont l’envergure est au moins équivalente à celles de grands organismes publics. Comme mentionné à l’article AI-1.11.1 du document d’appel d’intérêt, à défaut de pouvoir qualifier des offres dans le présent appel d’intérêt, le fournisseur pourra fournir une nouvelle proposition lors de prochains appels d’intérêt.
4. Question À l’annexe 15, Exigences de sécurité, vous demandez ceci : Rapport d’audit de conformité basé sur le standard SSAE 16/SOC 2 Type II : Le fournisseur doit fournir au Courtier une copie du rapport d’audit SSAE 16/SOC 2 Type II datant d’au plus deux ans précédant la date de dépôt des réponses et attestant de la conformité à l’exigence. Nous possédons actuellement le standard SOC 2 Type I. Pour obtenir le standard Type II, nous devons avoir un historique de 12 mois à fournir en Type I. Nous sommes actuellement en cours de processus afin de l’obtenir. Accepteriez-vous que nous fournissions notre rapport actuel sous promesse de vous fournir le rapport Soc 2 Type II avant le 1er février 2020?
Réponse L’exigence est maintenue telle quelle. La présente démarche de qualification ne peut permettre aucun compromis en matière de sécurité. Un rapport d’audit de conformité basé sur le standard SSAE 16/SOC 2 Type I n’est pas conforme, que ce soit temporaire ou permanent, puisque ce rapport n’est pas jugé équivalent à la norme ISO 27001:2013. Comme mentionné à l’article AI-1.11.1 du document d’appel d’intérêt, à défaut de pouvoir qualifier des offres dans le présent appel d’intérêt, le fournisseur pourra fournir une nouvelle proposition lors de prochains appels d’intérêt.
Le marché de l’infonuagique québécois est assez récent. Il n’a pas la longévité du marché des multinationales américaines. Par contre, il se développe à une vitesse étonnante et pourra, si le gouvernement lui en donne la chance, rivaliser avec les plus grandes entreprises mondiales. Déjà, des institutions financières et des multinationales lui font confiance. Mais il semble que notre gouvernement préfère jouer les « clients difficiles » pour les disqualifier avant même que la course ne soit ouverte.
Pourquoi est-ce inquiétant?
Dans la question 1, les exigences sont telles qui si certains hébergeurs infonuagiques québécois décidaient de faire alliance et se partager le contrat, ils ne le pourraient pas. Déjà, de passer de 457 centres de traitement à cinq ou six afin de permettre à nos entreprises à soumissionner, ce serait un très grand avancement. Mais le gouvernement est intransigeant. Il n’en veut qu’un. Dans la question quatre, on comprend que certaines entreprises ont l’exigence de sécurité SSAE 16/SOC 2 Type II qui est très difficile et dispendieuse à obtenir, mais qu’ils doivent encore attendre quelques mois avant d’avoir la confirmation externe de l’accréditation. Encore une fois, le gouvernement ne veut rien savoir.
Le gouvernement aura de toute évidence le choix entre plusieurs fournisseurs ou revendeurs américains et aucune offre d’hébergeurs d’infonuagique québécois. À cause du Cloud Act, comme je l’expliquais dans mon billet Le USA Cloud act et les problèmes d’intégrité et de confidentialité des données des Québécois.
Il a été largement documenté que nos lois de protection des données personnelles ne nous protègent pas de l’intrusion possible et effective du gouvernement américain.
Par ailleurs, Cloud.ca prétend que :
The goal of the CLOUD act was designed to help American agencies solve the legal challenges of cross-border data collection and the application of US law in those foreign territories. The result is that this law now enables the US government to legally access data outside the US that is being managed by US companies. In effect, the data is considered under US custody & control. In addition, the same US agencies can enforce a communication ban for US companies to not disclose that the data has been collected.
Servercloudcanada.com est encore plus incisif et inquiétant quant à la prétention des pouvoirs qu’accorderait le Cloud Act
It has long been requested that the SCA become modernized. Under the CLOUD Act, American authorities can now issue a warrant or subpoena to compel U.S. based service providers to present requested data. This applies to service providers located in both the U.S. and in foreign countries such as Canada. The U.S. government has given itself the power to request data even when it breaches foreign law.
(…)
The CLOUD Act extends the reach of law enforcement, but no update has been made to the law requiring a warrant for content. Typically, officials are obliged to show a reason for investigating a suspected criminal or possible crime. But current law does not impose a standard of probable cause for electronic communications. This discrepancy has been recognized by America’s most high-ranking law enforcement officers and has been fixed in similar bills. However, the CLOUD Act remains untouched.(…)
Some larger cloud companies can appear to be trustworthy providers if they have data centres located in Canada. But location means nothing if these companies are American-owned.
Et pour finir, la CBC disait quant à elle, ceci:
The U.S. has served notice it wants an end to measures that restrict cross-border data flows, or require the use or installation of local computing facilities. It is among the American goals for ongoing NAFTA renegotiation, posing a possible headache for Canada’s cloud-computing plans.
Conclusion
Le gouvernement pourra avoir toutes les exigences et garanties de sécurité imaginables. Si le gouvernement américain décide de venir fouiller dans ses données, ce sera à son fournisseur de le défendre, selon son bon vouloir. Il n’aura même pas la possibilité de le faire lui-même. Par contre, il pourrait aussi décider de donner une chance sérieuse à notre industrie d’infonuagique locale, la surveiller de très près et l’aider à grandir et par le fait même à consolider une expertise et des emplois ici…