Comment communiquer dans un contexte réglementaire contraignant?

Hier je suis allé diner avec un pote que je connais depuis des années. Il est VP affaires gouvernementales d’une très grosse start-up qui est dans un secteur d’activité extrêmement réglementé. Il me disait ne faire pratiquement pas de communications externes étant donné le contexte très restrictif auquel l’entreprise dans laquelle il évolue, doit composer.

Je lui expliquais qu’indépendamment du contexte réglementaire, les organisations peuvent focaliser sur ce qu’ils ne peuvent pas dire (et avec raison), mais qu’ils peuvent aussi focaliser sur tout ce qu’il peuvent dire et qu’avec un peu d’imagination, elles réaliseraient que cette tarte est plutôt grande. En fait, bien des entreprises s’empêchent de communiquer par peur de se mettre les pieds dans les plats à cause du contexte de leurs opérations, mais que souvent, c’est aussi par manque d’imagination et de créativité. Je me souviens d’une conférence que je donnais aux membres de la très haute direction d’une entreprise qui avait elle aussi un contexte réglementaire particulièrement contraignant. Inévitablement, durant ma présentation au président de l’entreprise et aux présidents des différentes divisions et leurs VP respectifs, on me posa « la question qui tue ».

Oui, mais dans notre secteur, les gens en général n’aiment pas particulièrement ce que nous faisons, nous sommes très réglementés et nous prêtons le flanc aux critiques faciles et aux poursuites éventuelles. Dans notre cas, il est préférable de tenir le profil bas et de ne pas communiquer. Qu’en pensez-vous?

Comme je l’expliquais dans mon billet US Air Force, Vos enjeux de relations publiques 2.0 peuvent difficilement être pires que les leurs, il est difficile d’évoluer dans un contexte et réglementaire et de relations publiques pires que la US Air Force qui est pourtant massivement sur les blogues et les médias sociaux. Mais plus récemment, je discutais aussi du cas Lego pour qui il est strictement interdit de faire de la publicité aux enfants au Canada. D’ailleurs, Lego est sans doute la plus connue des entreprises de plastiques. Pourtant, jamais personne ne s’en plaint ou ne manifeste ostentatoirement d’objection à ce constat.

Dans ce billet, je disais :

Lorsqu’il était plus jeune, le samedi matin petit-fils venait s’asseoir sur mes genoux alors que je regardais ma revue de presse sur mon laptop dans la cuisine, avec mon café. Il voulait écouter des petits bonhommes avec moi sur Netflix ou YouTube. Il n’en avait que pour Lego. Batman Lego, Superman Lego, le gars de la construction Lego, Star Wars Lego. Il voulait n’importe quel dessin animé, mais fait par Lego. Moi ça me tapait un peu sur les nerfs alors je lui présentais plutôt mes classiques qu’il ne connaissait pas, Bugs Bunny, Road Runner, Daffy Duck, Popeye et même Laurel et Hardy. Il était ravi de découvrir un nouveau monde. Mais son monde à lui, celui dans lequel il baignait jour après jour, c’était celui de Lego. Pas surprenant que ça devienne son choix de cadeau numéro un. Pourtant, il est interdit de faire de la publicité aux enfants au Canada. Mais Lego ne fait pas de publicité. Ils font du contenu. Grosse différence. Ils ne parlent JAMAIS de Lego. Ils n’en ont réellement pas besoin. Chacun des personnages EST un Lego. Le placement de produit est si efficace que d’en rajouter une couche serait inutile.

Alors la question demeure, Comment communiquer dans un contexte réglementaire contraignant? Et la réponse est ne faites pas de publicité. Faites du contenu…

Le clou final aux paranos des enjeux de relations publiques sur les médias sociaux

La semaine dernière, en jasant avec des collègues « consultants médias sociaux » en France, la critique facile des délicats enjeux de relations publiques sur les médias sociaux dans un contexte réglementaire refit surface. C’est le genre d’argument qu’on me présente sporadiquement et pour lequel « mes collègues » juste un peu moins expérimentés restent souvent bouche bée. C’est d’ailleurs aussi l’argument « marteau » dont aiment se servir les tenants du statu quo.

On ne peut être sur les médias sociaux parce que « patati et patata » !

Remplacer ici « patati et patata » par
-nous sommes dans une industrie très réglementée,
-nous sommes dans un environnement gouvernemental légiféré,
-nous avons des secrets industriels, de production, d’affaires très importants,
-on ne peut faire confiance à nos employés
-nos compétiteurs nous surveillent
-1001 autres excuses prouvant hors de tous doutes qu’on ne peut et ne devrait rien faire sur les médias sociaux.

C’est alors que je raconte mon petit laïus aux potes Français qui n’en revenait tout simplement pas à tel point qu’ils me demandent de l’emprunter à leur tour pour clouer le bec à leurs propres emmerdeurs anti médias sociaux.

Tout d’abord je leur dis qu’il est parfois important de faire dire ces choses par un consultant externe puisque souvent les patrons préfèrent se faire clouer le bec par quelqu’un de l’externe que par quelqu’un de l’interne (notez ici que je prêche pour ma paroisse et que si toutefois vous utilisez ma phrase-choc et qu’elle fonctionne, il ne vous est pas interdit de m’envoyer un chèque de remerciement hehehe).

Ma réponse béton

Imaginez une organisation qui fonctionne dans un contexte réglementaire et dont certains règlements peuvent même inclure « la peine de mort ». Cette organisation met aussi le feu par accident à des hôpitaux bondés de gens qui y meurent dans d’atroces souffrances. Cette organisation fait aussi exploser par mégarde des écoles avec des centaines d’enfants. La tête des membres de cette organisation est mise à prix, elle est détestée à la grandeur de la planète et elle blesse, tue et handicape souvent ses propres partenaires. Croyez-vous que vos enjeux de relations publiques ou que votre contexte réglementaire peuvent être pire que ça ?

La réponse est de toute évidence non.

Alors (comme j’en ai déjà parlé ici) sachez que cette organisation est la US Air Force et que ses membres, je dis bien tous ses membres allant du simple soldat au général, ont été formé et habilité à prendre tous part et être actifs sur les médias sociaux.

Oui il y aura toujours des contextes réglementaires et des choses dont on ne peut parler. D’ailleurs, à ce propos, un excellent document du CEFRIO rédigé par le sympathique prof de droit Pierre Trudel Gérer les enjeux et risques juridiques du Web 2.0. (PDF) vient d’être mis en ligne. Il faut donc être toujours conscient des limites de ce qu’on peut ou ne peut pas dire en ligne. Mais il ne faut surtout pas se servir des enjeux et des risques comme d’un bouclier pour le statu quo. Il y a toujours des choses qui se doivent de ne pas être partagé, mais il y en a souvent beaucoup plus qui peuvent l’être. D’ailleurs ce document se découpe judicieusement via cette démarche

Situer les responsabilités : Identifier qui fait quoi et qui répond de ce qui se passe lors d’une activité se déroulant sur internet.

Identifier les risques : pour cela, il faut partir des activités se déroulant sur internet sous les auspices de l’organisme ou de l’organisation.

Évaluer les risques : Une telle évaluation tiens compte aussi bien des caractéristiques de l’activité que du fonctionnement ou de la configuration des outils internet utilisés

Identifier et mettre en place les mesures et politiques qui permettent une prise en charge appropriée des risques

Comme l’a observé la US Air Force, le réel risque des médias sociaux est de ne pas y être et de laisser toute la place à la propagande adverse ☺