Economie des affaires électroniques

La culture et le choc des cultures numériques

Ce week-end je ferai pratiquement du bénévolat pour aider les artistes. Je donnerai une formation Web à plusieurs artistes de la galerie SAW à Ottawa. D’ailleurs, le site de cette excellente galerie (tout en Flash donc invisible aux moteurs de recherche) est symptomatique du choc des cultures des artistes non numériques avec ce qu’on pourrait appeler les artisans du web. Mais il y a pire. Les artistes souffrent beaucoup du Web. Pas juste parce que pour la très grande majorité ils ne le comprennent pas, mais parce que le Web, cette maudite invention, vient gruger chaque jour plus profondément dans leur poche, dans leur gagne-pain. Je les comprends. J’ai beaucoup d’amis artistes. Ce n’est pas facile pour eux en ce moment. Ce n’est pas facile non plus pour les journalistes. Ce ne sera pas facile bientôt pour les enseignants et pour plusieurs catégories de travailleurs. C’est que le web change la donne. Il la change lentement mais sûrement. Il change surtout les modes de rémunération et ce que nous appelons « platement » les modèles d’affaires.

Donc avant de continuer, je vais réécrire ici ce que j’ai déjà écrit dans mon billet : La difficulté des artistes avec le Web, en parlant d’un de mes potes qui est musicien reconnu internationalement.

(…)Quelques minutes plus tard, un autre pote qui lui est acteur vient me voir. Je lui raconte la mésaventure puis il me dit :

Tu sais Michelle, tu n’as pas été très à l’écoute. C’est très difficile pour les artistes présentement. Ils ne vendent presque plus de disque et contrairement à toi et tes conférences, faire des spectacles ce n’est pas payant. Ils ont une grosse équipe de tournée, des musiciens, des techniciens, de l’équipement, un manager, au bout du compte, ils ne touchent pratiquement rien. Je comprends qu’il ait pogné les nerfs. D’ailleurs, on a le même problème avec l’UDA qui n’arrive pas à se faire payer les pubs que les artistes font et qui passe sur le Web. Le web est en train de nous ruiner. La prochaine fois ferme ta gueule et écoute-le. Ne parle plus de Web.

Morale de l’histoire

Je compatis avec les artistes, je comprends que plusieurs n’usent pas du Web de la bonne manière et je suis consciente que ceux qui font le plus de frics avec les contenus en ligne, quels qu’ils soient, sont les fournisseurs de services internet qui ne paient aucune redevance à qui que ce soit et que c’est SCANDALEUX. Je comprends aussi que comme le mentionne Attali, les modèles d’affaires doivent changer et la culture qui a toujours été financé par le privée et le public, ne l’est pratiquement pas pour le web et les créateurs qui y déversent de nombreux contenus. Entre-temps, bien des gens sont pris dans l’étau du changement et n’arrivent plus à vivre de leur art et c’est d’une tristesse profonde.

J’aime les artistes et je suis prête à faire ma part pour les aider à capitaliser sur le Web plutôt qu’à le démoniser et à lutter avec acharnement contre les changements qui sont inévitables. Je suis donc prête à offrir mes services de consultante, à moitié prix, selon ma disponibilité aux regroupements d’artistes qui pourraient requérir mes services. Pour le reste, je ne peux malheureusement que compatir pour ceux qui malheureusement, sont pris dans le tordeur sans pitié du changement…

Pourquoi je vous parle de ça ? Sans doute parce qu’hier, ma Bibitte Électric chérie me dit : Michelle c’est toi qui avait dit à Luc De Larochellière cet été qu’il devait commencer à songer aux produits dérivés de son oeuvre pour faire plus d’argent ? Va lire sa déclaration dans l’article du Voir Manifeste pour la chanson de pointe.

(…)« Depuis l’avènement du gramophone, il a toujours été de plus en plus rentable d’être musicien jusqu’à aujourd’hui, où plutôt que de progresser, nos revenus régressent, lance Luc De Larochellière. Moi, quand un expert du Web me dit que de donner ma musique sur Internet va me faire vendre plus de t-shirts, j’ai juste envie de l’envoyer chier. Je ne suis pas un vendeur de t-shirts, mon travail est de composer des chansons, et cette musique a une valeur. »
(…)

J’étais en effet l’invitée de Penelope McQuade cet été, en même temps que Luc De Larochellière. Les recherchistes m’avaient demandé au préalable d’aller voir la présence de Luc De Larochellière en ligne. Elle était si moche que par respect pour monsieur De Larochellière, j’ai demandé au recherchiste de parler d’autre chose. C’est là qu’on me proposa de plutôt parler « de la musique en ligne ». J’ai en effet répété ce que je dis souvent : l’argent est maintenant dans les produits dérivés de l’œuvre plutôt que dans l’œuvre elle-même. L’argent est dans les spectacles, les ventes de CD sur place, les t-shirts, la musique pour la pub et regardez ce qu’est en train de faire Misteur Valaire pour vous inspirer (c’était donc une peu plus que strictement vendre des t-shirts). D’ailleurs encore la semaine passée, Guillaume Déziel, le brillant manager de Misteur Valaire récidivait pour son propre combat dans son article du HuffingtonPost L’aberration du droit d’auteur :

Culture, agriculture, droit d’auteur, brevet : même combat. Ce n’est pas ce qu’on invente qui a de la valeur; c’est ce qu’on en fait !

M’étant fait envoyer chier anonymement par monsieur De Larochelière (malgré que plusieurs centaines de milliers de personnes aient écouté l’émission où je suis supposé lui avoir dit de vendre des t-shirts) je reprends ici un commentaire du chroniqueur de Triplex, Laurent LaSalle, sur le mur Facebook de Marc Desjardins :

«Sur Internet, le contenu n’a plus aucune valeur. Pourtant, nos chansons et nos vidéoclips circulent en malade sur les réseaux sociaux.» En malade? Luc, un peu de sérieux…

Du système que ça prend pour faire rouler la machine

Comme vous le savez peut-être, je suis aussi auteure à succès. Mon Les médias sociaux 101 a en effet été best-seller durant 32 semaines au classement Gaspard/LeDevoir. Pourtant, je ne touche qu’environ $1.50 du livre vendu. Ce qui se résume à une intéressante avance puis plus rien. J’avais aussi le choix de m’autoéditer. Cependant, de s’autoéditer suppose que je ne serai qu’en numérique, pas en papier. Cela suppose que si je voulais être en papier, que j’avance moi-même les sommes nécessaires à l’impression, que je me monte un réseau de distribution, que je gère les stocks, que je monte moi-même ma campagne publicitaire, de relation publique, que j’engage un directeur littéraire, graphiste, réviseur et autre. Finalement, ça se résume à ce que je me monte une tout autre business parallèle. D’ailleurs, les éditeurs ont aussi des enjeux encore non résolus avec Apple (pour iTunes) et Amazon qui ne respectent pas les DRM et grugent un pourcentage indécent sur les éditeurs et les auteurs. De surcroit, mon livre ne se vend toujours pas en France, mais des discussions avancent (ironiquement) avec le marché chinois. Comme quoi mon livre qui est déjà en Français a plus de chance d’être traduit en chinois que d’être disponible en français en France. Mais c’est ça qui est ça et heureusement pour moi, je ne vis pas strictement de ma plume. On me dit aussi que ce qui se vend au Québec ce sont les bio et les livres de cuisine, mais que depuis 18 mois, étant donné la surabondance de livres de cuisine, les ventes de cette catégorie sont tombées de façon dramatique (heureusement pour moi ma bio va sortir l’automne prochain, peut-être avant que cette catégorie ne tombe aussi). Tout ça pour vous dire que les bio et les livres de cuisine ce n’est pas de la grande littérature. Ce n’est pas l’équivalent de ce que l’auteur  OLIVIER ROBILLARD LAVEAUX appelle « la chanson de pointe » dans son Manifeste pour la chanson de pointe, pour la littérature, disons. Mais c’est tout de même ça qui se vend. Tout comme la pop qui est peut-être une musique merdique, mais c’est elle qui se vend. On peut se draper dans le linceul « de l’artiste qui cré une œuvre originale et de pointe » et crever de faim, ou être extrêmement chanceux et trouver un mécène qui nous fait vivre, être déclaré génie par la population mondiale et faire bin du fric. La réalité est que ça risque rarement d’arriver et que pour tous les artistes, quelque soit leur art, le web est là pour foutre le bordel et révolutionner les manières de faire.

Je me rappelle aussi d’un pote de Québec qui durant des années a fait des sites Web pour l’industrie du cinéma québécois. Il a récolté de nombreux prix. Ces sites étaient tous en Flash et ne vivaient que quelques mois ou quelques années. Il les vendait pourtant plusieurs centaines de milliers de dollars. Il rit aujourd’hui de l’imbécillité du système qui finançait ses trucs à la con.

Le web dérange, il modifie, il retourne les gros joueurs, le corporatisme des éditeurs de musique, de livre, de tv, de cinéma, des regroupements d’artistes et de bien d’autres industries encore. Certains se font des concours pour se remettre des prix bidon pour leurs « œuvres web » et se rassurer que tout est toujours pareil. Ils font des sorties épisodiques contre ces méchants usagers (qui s’adonnent à être aussi des clients), mais rarement les entend-on réfléchir lucidement sur les modifications qu’eux même doivent entreprendre. Sans doute parce que ça ne fait pas encore assez mal…

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